Réduction des déchets : l’État se défausse, le privé échoue

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Un article du groupe thématique Déchets de La France insoumise

Depuis la fin du 20e siècle et plus particulièrement depuis la chute du mur de Berlin en 1989, on ne peut malheureusement que constater que le rôle de l’État, censé représenter le peuple, est constamment réduit par les gouvernements successifs au profit du rôle de l’individu.

Dans le domaine de l’environnement, cela se constate par une responsabilisation individuelle abusive, aboutissant à nombre d’injonctions faites aux citoyens de bien fermer le robinet en se lavant les dents ou de ne pas oublier d’éteindre la lumière en quittant une pièce.

Certes ces « petits gestes » sont utiles. Cependant, faire croire à tout le monde qu’ils permettront de sauver la planète en évitant le gaspillage de nos ressources est une supercherie, poussant chacun à regarder le doigt qui pointe vers la lune, c’est-à-dire à ne pas viser les vraies responsabilités, celles de l’État et des entreprises.

Car en effet, à force de déléguer et réduire ses engagements, l’État a perdu en efficacité dans de nombreux domaines, comme cela a été vu récemment pendant la crise sanitaire.

Dans le domaine de la gestion des déchets, l’État a créé, depuis les années 1990, un certain nombre d’intermédiaires entre lui, les collectivités, les entreprises de production et de distribution et les consommateurs, afin de déléguer son rôle dans la gestion des filières REP (Responsabilité élargie des producteurs) pour la collecte, le tri et le traitement de certains produits en fin de vie (déchets). Ces intermédiaires ont pris la forme de sociétés de droit privé, issues des industriels producteurs et distributeurs : les éco-organismes.

Ceux-ci gèrent donc, par délégation selon un agrément que leur fournit l’État (tous les 6 ans) à la suite d’un appel d’offre auquel répondent ces « éco-organismes », à la fois les financements des filières de collecte et traitement, par des prélèvements de taxes sur les produits mis sur le marché (emballages, literie, textiles, mobilier, équipements électroniques, etc.), mais aussi toutes les subventions et aides diverses aux opérations contribuant à la réduction des déchets. Récemment, la loi AGEC (Anti-Gaspillage Économie Circulaire), votée en 2019, prévoit un renforcement du rôle des éco-organismes. En effet, leur mise en place devient la règle de principe pour les producteurs, alors qu’auparavant ils pouvaient opter pour un système de collecte individuel. La loi prévoit également une extension des filières REP existantes (par exemple les emballages ménagers qui comprennent désormais ceux consommés hors foyer et par les professionnels) et la création de nouvelles (jouets, produits et matériaux de construction etc.). En conséquence, cette loi marque la volonté de l’État de faire basculer la gestion de la majorité des déchets en fin de vie par les éco-organismes, qui seraient alors les principaux acteurs de l’économie circulaire.

Des objectifs peu ambitieux et non atteints

Dans les cahiers des charges sont fixés les objectifs des éco-organismes en termes de collecte, de tri, de valorisation. Ils doivent en outre privilégier le réemploi et la réutilisation, selon la hiérarchisation des modes de traitement établie par l’Union Européenne en 2008 (Directive Déchets). Or, c’est là que le bât blesse.

Même si la collecte dans certaines de ces filières progresse relativement bien depuis quelques années, le problème majeur consiste non seulement dans le fait que les objectifs fixés ne sont souvent pas assez ambitieux mais, en plus, qu’ils ne sont pour la plupart que des orientations, sans caractère obligatoire, comme le taux de réemploi-réutilisation par exemple.

Conséquence, pour chaque filière à responsabilité élargie des producteurs (REP), c’est le recyclage, voire le traitement par incinération (avec valorisation énergie) ou le stockage qui prédominent, au lieu de la réutilisation ou du réemploi Dans l’ouvrage Recyclage : le grand enfumage (2020). Flore Berligen expose le fait qu’il n’existe pas de réelle filière de traitement pour les déchets dits recyclables, voire que les éco-organismes échouent à freiner la mise sur le marché de produits à la composition non-recyclable.

Pire, pour les emballages en verre, la filière REP ne fait que collecter pour recycler le verre pilé. Ainsi, la consigne, mode de collecte historique pour le réemploi de ces emballages n’est plus encouragé, et même découragé car son mode de collecte est plus coûteux et non subventionné par l’éco-organisme, contrairement à la collecte du verre (cassé) en bornes d’apport volontaire.

Par ailleurs, même après 10 ou 20 ans d’existence, plusieurs de ces filières ne parviennent pas à atteindre 50% de collecte des produits en fin de vie, taux de collecte qui constitue le premier objectif d’une filière REP. La plus importante (en tonnage), celle des Déchets d’Équipements Électriques et Électroniques (DEEE), donc l’éco-organisme ne parvient à collecter que 51% du gisement, selon le rapport public 2020 de la Cour des Comptes, contre un objectif fixé à 59% en 2018. Quant à la plus connue et la plus ancienne des filières REP, celle des emballages recyclables, gérée aujourd’hui par Citéo (anciennement Eco-Emballages) ne collecte qu’environ 63% du gisement des déchets d’emballages, selon le dernier rapport de la Cour des Comptes, alors que son existence remonte à 1993, et ne recycle toujours que 70% des déchets collectés en 2018, alors que l’objectif réglementaire était déjà fixé à 75% en 2012.

En outre, la gouvernance des éco-organismes a fait l’objet de plusieurs mises en question puisque les producteurs de déchets en sont eux-mêmes créateurs, adhérents et pilotes. Le rapport Vernier (2018), au sujet de la responsabilité élargie des producteurs, reconnaît même que les producteurs peuvent exercer “leur influence, ne serait-ce que sur les barèmes d’éco-contribution et d’éco-modulation” (soit le financement versé par les producteurs à l’éco-organisme et les malus en cas de non-respect des objectifs). Or, la question de la coïncidence entre les intérêts des producteurs et l’intérêt général mérite d’être posée. La loi AGEC a réformé ce statut en imposant la création d’un “comité des parties prenantes”, fixée par décret et composé de producteurs, de représentants des collectivités, d’associations de protection de l’environnement et des consommateurs et d’opérateurs de la prévention et de la gestion des déchets. Ce comité pourrait rendre un avis public préalable aux décisions prises par l’éco-organisme, et émettre des recommandations. Toutefois cette disposition reste limitée car l’avis du comité des parties prenantes est uniquement consultatif. De plus, la question de la représentativité des parties prenantes est en sursis car les producteurs demeurent les actionnaires majoritaires, et les éco-organismes en charge de la composition du comité, ce qui peut les amener à exclure certaines participations.

L’État doit prendre ses responsabilités

Le rapport de la Cour des Comptes conclut de manière indulgente sur une performance à confirmer et une régulation à renforcer. En fait, cette litote cache à peine l’échec de ces organes de délégation de l’État dans la réduction des déchets, leur collecte et leur valorisation.

A minima, ces filières manquent d’ambition mais surtout de contrôle et de contraintes. Une gestion publique de ces éco-organismes doit aujourd’hui être envisagée, si les résultats semblent ne plus pouvoir progresser suffisamment. Pourtant les dispositifs existent (rôle de censeur d’État pris dans la loi de 1997), mais demeurent insuffisamment appliqués.

L’étude des résultats des filières REP que présente ce rapport de la cour des comptes (sur une vingtaine de filières existant aujourd’hui) montre encore une fois que, lorsque l’État ne prend pas ses responsabilités, le marché ou le privé ne constitue généralement pas une réponse satisfaisante. La loi française (Art. L541-10 du code de l’environnement) dispose pourtant que les éco-organismes “ne poursuivent pas de but lucratif”, ce qui s’avère un vœu pieux lorsqu’ils deviennent des arènes de lobbying pour les producteurs de déchets.

Une réflexion profonde de ce mode de gestion des filières à responsabilité élargie des producteurs s’impose donc rapidement, dans le cadre d’une transition écologique de nos modes de production et de consommation.

Enfin, plus largement, c’est la régulation de tout le système de production qu’il faut reconsidérer car, si le marché ne peut parvenir lui-même à « auto-réguler » les quantités de déchets produits par exemple au moyen des techniques d’éco-conception, mais aussi en cessant de mettre sur le marché des produits à usage unique et en mettant fin au système d’obsolescence programmée, alors c’est à l’État de prendre ses responsabilités. Une politique publique d’économie circulaire n’a de sens que lorsqu’elle tend vers la sobriété et le zéro déchet, et non vers des solutions en bout de tuyau comme le recyclage. Il s’agit de réfléchir à la préservation de nos ressources rares, dont les stocks sont de toute manière limités.

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