Cette chronique a été publiée sur le site le Monde en Commun.
La presse française se fait bien silencieuse sur le retour victorieux de la démocratie dans l’État plurinational de Bolivie, et surtout sur l’investiture du nouveau président Luis Arce et de son vice-président David Choquehuanca, élus dès le premier tour à 55% des voix le 18 octobre dernier. Pourtant ce qui s’est déroulé en Bolivie est historique. Le peule bolivien a réussi par la voie la plus pacifique, le vote, à mettre en échec un coup d’État.
Déni du coup d’État
Alors pourquoi n’avez rien entendu sur cet épisode historique ? Ce silence s’explique aisément. La presse française dans sa grande majorité avait relayé largement le récit hostile à l’existence du coup d’État. Emboîtant le pas au gouvernement français qui ne dénonçait en rien ce putsch. Lorsqu’au nom du groupe la France Insoumise à l’Assemblée nationale, j’avais posé une question au gouvernement le 12 novembre 2019, Amélie de Montchalin, secrétaire d’État chargée des affaires européennes, refusait de reconnaitre le coup de force qui avait expulsé du pouvoir Evo Morales.
Pourtant comment qualifier autrement une situation où les militants sont menacés physiquement, ainsi que leurs familles ? Où un général de l’armée somme publiquement le président Morales de quitter le pouvoir ? Où la maire de Vinto, Patricia Arce du MAS (Mouvement vers le socialisme) fut kidnappée, tondue et trainée sur 5 kilomètres couverte de peinture rouge ? Où le directeur de la radio du syndicat des travailleurs paysans fut ligoté à un arbre ? Comment qualifier autrement une situation où des massacres ont lieu à l’encontre surtout des populations indigènes, entraînant 35 morts ? Où le dirigeant d’extrême-droite Camacho, cet évangéliste fondamentaliste, se rend dans la maison du peuple, prier sur le drapeau de l’État plurinational de Bolivie pendant que les symboles indigènes étaient brûlés ?
Oui le peuple bolivien fut victime d’un coup d’État d’une très grande violence. L’État plurinational de Bolivie aiguisant les appétits états-uniens notamment pour ses très grandes réserves de lithium. Le patron de Teslan Elon Musk, ne s’en était d’ailleurs pas caché répondant à un tweet qui disait « Le gouvernement américain organise un coup d’État contre Evo Morales en Bolivie pour que vous puissiez y obtenir du lithium » par : « Nous renverserons [les systèmes politiques] que nous souhaitons ! Faites avec ».
Retour de la démocratie et de la dignité
C’est la première fois dans l’histoire d’Amérique Latine qu’un peuple arrive à mettre en échec un coup d’État en seulement 11 mois. Le peuple bolivien écrit l’histoire par la force des urnes. Ce 18 octobre la mobilisation populaire fut massive avec 88% de participation. Victoire du MAS d’autant plus importante que la Bolivie a connu les nouveaux types de coups d’État.
Fini le dictateur avec l’armée qui reste en place pendant des années.
Ces nouveaux putschs se donnent une apparence démocratique. Jeanine Áñez, sénatrice qui s’était déclarée présidente l’assurait : elle organiserait des élections. Que se serait-il passé si l’autre candidat Carlos Mesa avait gagné ce 18 octobre 2020 ? Tous les pays l’auraient reconnu et d’un coup d’État, se retrouverait un pouvoir en place avec la légitimité d’un président élu quelques soient les conditions de ces élections. D’où le coup de force du peuple bolivien qui a réussi à reconquérir la démocratie notamment grâce à l’organisation d’un mouvement populaire très fort autour du MAS qui regroupe des syndicats, des mouvements citoyens et indigènes.
J’étais invitée par la nouvelle présidence, en tant que vice-présidente du groupe La France insoumise à l’Assemblée nationale, à me rendre à La Paz, capitale bolivienne, afin d’y représenter mon mouvement politique et le président de son groupe parlementaire Jean-Luc Mélenchon.
Assister à la cérémonie d’investiture avec la présence de nombreux chefs d’État, fut un honneur et une grande émotion pour notre délégation.
Nous y étions seuls à représenter la France avec l’ambassadeur de France en Bolivie.
Cette victoire électorale représente une étape historique pour nous et notre famille politique à travers le monde : seul le nombre du peuple met en échec la confiscation violente du pouvoir.
Grâce à une campagne populaire et massive, dans des conditions sanitaires difficiles, les candidats et militants du MAS ont su faire porter au sommet de l’État le changement radical dont le pays avait besoin après 11 mois de malheur. C’est pour nous, ici en France, à l’heure où la droite libérale macroniste n’a plus rien à envier à l’extrême-droite lepéniste, une grande source d’inspiration et d’espoir dans les mois qui s’annoncent.
Le peuple bolivien va devoir faire face à d’immenses défis : le pays est largement surendetté après ces 11 mois de putsch, il leur faut reconstruire une économie mise à mal avec le coronavirus (le tourisme et le prix des matières premières s’étant effondré) et gérer une extrême-droite qui refuse le résultat démocratique. Ainsi trois jours avant l’investiture, un attentat à la dynamite visait le nouveau président élu Luis Arce Catacora contre la maison de campagne du MAS. Le gouvernement bolivien a commencé par établir un impôt de solidarité sur les plus riches du pays et à renouer des relations diplomatiques mises à mal par le coup d’État.
Bien communs et enjeux écologiques
Nous nous sommes rendus lors de notre déplacement bolivien au lac Titicaca, première réserve d’eau naturelle de toute l’Amérique latine.
Situé entre Pérou et Bolivie, le lac qui est alimenté par 25 rivières est aujourd’hui menacé par la pollution minière, agricole et de celle des villes, créant une eutrophisation des milieux, menaçant la faune, la flore et la survie économique des habitants autour du lac.
A titre d’exemple en octobre 2016, 10.000 grenouilles géantes sont mortes d’un coup à cause de ces phénomènes de pollutions.
Il existe un fort enjeu écologique à protéger le lac Titicaca quand on sait qu’en 40 ans la température du lac a augmenté d’un degré et que les prévisions scientifiques prévoient entre 4,5 et 6 degrés d’augmentation de température d’ici 100 ans. Soit le double que le réchauffement prévu sur la planète.
Nous avons eu la chance de pouvoir échanger avec les scientifiques de l’Institut de Recherche pour le développement (IRD) qui mènent un travail de suivi des données concernant le lac Titicaca depuis 40 ans. Ce travail de recherche permet d’apporter un éclairage scientifique aux autorités bolivienne dans le cadre d’un travail de coopération qui je l’espère reprendra au plus vite.
La Bolivie a là aussi beaucoup à nous apprendre car c’est l’un des premiers pays à avoir inscrit dans sa Constitution en 2009 le droit à l’eau pour toutes et tous. Grace à une proposition de la Bolivie, le droit humain à l’eau a été reconnu par Le Conseil des droits de l’homme des Nations unies à travers une résolution de juillet 2010. David Choquehuenca, vice-président de l’État plurinational de Bolivie, avec qui nous avons eu la chance d’échanger lors de notre déplacement, nous indiquait vouloir se battre pour qu’existe une organisation mondiale pour l’eau comme il en existe sur l’alimentation.
Ce déplacement a été aussi l’occasion pour moi de rencontrer la représentation Française locale, et de répondre positivement à l’honneur que m’a fait Monsieur l’Ambassadeur de France en Bolivie en présidant la cérémonie de commémoration du 11 novembre 1918 à l’Ambassade de France à la Paz.
Le jour de l’investiture de Louis Arce et de David Choquehuanca correspondant au jour de proposition de candidature à l’élection présidentielle de Jean-Luc Mélenchon en France, nous avons aussi rencontré des insoumis français actifs pour soutenir nos actions et mener campagne pour l’Avenir en Commun en Bolivie aussi. Au plus haut niveau de nos hôtes, la sympathie pour les insoumis marque la fraternité des luttes internationales.
Je ne peux pas terminer ce long billet sans une pensée émue aux familles des morts des massacres perpétrés à qui nous avons rendu hommage en présence aussi d’un représentant du Haut-Commissariat aux droits humains de l’ONU et la Defensora del pueblo.
La Bolivie a envoyé un message d’espoir au monde entier. Le peuple est toujours la solution ! Même dans les moments les plus sombres, rappelons-nous que nous avons toujours la force de changer l’histoire et d’ouvrir des horizons heureux ! Merci au peuple bolivien pour sa quête de liberté qui fait écho à la nôtre en France l