Un article du groupe thématique Enseignement Supérieur et Recherche de La France insoumise
La loi de programmation de la recherche a été examinée au Sénat du 28 au 30 octobre. Si la version votée à l’Assemblée Nationale mettait la recherche au service des puissances économiques, le Sénat a ajouté diverses dispositions soumettant les personnels et étudiant·es aux pouvoirs politiques. Notamment trois amendements : un qui limite la liberté académique au « respect des valeurs républicaines », le second qui permet de poursuivre tout·e étudiant·e ou personnels ayant participé à des actions militantes ayant perturbé des « débats », le troisième qui remet en cause in fine le statut national des enseignant·es-chercheur·es, en remettant en question le rôle du Conseil National des Universités.
Arbitraire et répression à venir ?
Le premier amendement expose que « Les libertés académiques s’exercent dans le respect des valeurs de la République ». Jusqu’à maintenant, les libertés académiques, principes qui permettent aux universitaires, dans le cadre d’activités et de recherches de s’exprimer librement, comportaient deux limites. Celle de l’intégrité scientifique, qui consiste à ce que les propos tenus soient de bonne foi et s’inscrivent dans le cadre de la recherche de l’objectivité, et celle des dispositions pénales qui notamment répriment les propos diffamatoires ou de haine (propos racistes, homophobes, etc.). La nouvelle disposition, faisant appel à une notion, « les valeurs de la République », nullement définie juridiquement, va créer un climat d’arbitraire dans lequel des recherches ou des enseignements risquent de subir des poursuites disciplinaires. Cet ajout est d’autant plus inquiétant au moment où le ministre de l’Éducation nationale qualifie d’« islamo-gauchistes » les chercheur·es travaillant sur le racisme ou l’intersectionnalité. Il ouvrirait la voie à une répression possible de celles et ceux étudiant le racisme ou toute autre forme de discrimination à l’université.
Le second amendement vise à créer une nouvelle infraction dans le Code pénal, à savoir celle de « pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement supérieur sans y être habilité en vertu de dispositions législatives ou réglementaires ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes, dans le but d’entraver la tenue d’un débat ». Les personnes commettant un tel acte risquent jusqu’à un an de prison et 7500€ d’amende. Cet amendement vise à répondre à une série de perturbations d’événements, se déroulant dans des locaux universitaires, mais ne se trouvant pas dans le cadre d’activités de recherche ou d’enseignement. Ces événements avaient choqué la presse de droite, qui y avait vu, en fonction des circonstances, la main des « indigénistes » ou du « féminisme radical ». Ces contestations s’étaient pourtant limitées à la publication de communiqués et de rassemblements devant le lieu où devait avoir lieu l’événement en question.
Vers la criminalisation des mouvements sociaux à l’université ?
La ministre Frédérique Vidal a indiqué que les étudiant·es inscrit·es et les personnels n’étaient pas visé·es par l’article. Cependant le nouvel article du Code pénal ne l’exclut pas formellement. De plus, rien n’interdit à un président d’université de prendre des arrêtés visant à limiter l’accès à certains événements au nom de l’ordre public. Les étudiant·es et personnels passant outre peuvent se retrouver soumis à des poursuites. Par ailleurs, la contestation de la tenue de certains conseils (Conseil d’Administration, Commission Formation et Vie Universitaire) votant des dispositions contestables comme la sélection, des fusions d’établissement ou une hausse de frais d’inscription peuvent se retrouver criminalisée. Enfin, en cas de mouvement universitaire, les Procureurs de la République se trouvant sous l’autorité du gouvernement, il suffira au ministre de la Justice d’émettre des instructions de poursuites systématiques à l’encontre des étudiant·es et personnels menant des occupations. Ces mesures semblent ainsi avoir comme principal objectif de criminaliser les mouvements sociaux et les syndicats dans l’enseignement supérieur.
Un troisième amendement adopté par le Sénat ouvre la porte à une dérogation à la règle de qualification par le Conseil National des Universités (CNU) préalable au recrutement des Maître·sses de Conférences et des Professeur·es des Universités. Comme le fait remarquer la Commission Permanente du CNU, instance collégiale et largement élue, la remise en cause du rôle d’une instance nationale dans le recrutement des enseignant·es-chercheur·es ouvre la voie à la suppression de leur statut de fonctionnaire d’État. L’amendement, issu d’une association réunissant des présidents d’université, confierait à ces derniers le contrôle des recrutements des universitaires. Nous défendons au contraire l’existence d’un statut national des enseignant·e-chercheur·e, indispensable à la garantie d’un service public d’enseignement supérieur d’égale qualité sur l’ensemble du territoire, et étroitement lié au principe du respect des libertés académiques.
La France insoumise s’oppose à ces amendements comme à l’ensemble de la Loi de programmation de la recherche. Elle réaffirme l’importance des libertés académiques et de la liberté d’expression pour les étudiant·es ainsi que des moyens pérennes, garantie indispensable du respect de ces principes.