Après des mois de mobilisation des chercheurs et enseignants-chercheurs contre le projet de loi de programmation de la recherche, le Gouvernement a fait voter mercredi 23 septembre son texte sans en modifier une ligne… La pandémie de Covid-19 a pourtant montré la faillite de leur modèle et le sous-investissement chronique dont souffre la recherche et de l’enseignement supérieur.
Une promesse de 25 milliards d’euros… sur les 10 prochaines années !
Un budget insuffisant pour atteindre 3% du PIB consacrés à la recherche, que le Gouvernement ne sera tenu d’appliquer que les 2 premières années. 2021 est d’ailleurs l’année où l’augmentation sera la plus faible… Cette programmation est donc purement spéculative. Une bonne part de celle-ci correspond à une redistribution de la baisse de la cotisation payée par l’État suite à la loi de réforme des retraites.
Toujours pas de financement pérenne de la recherche
Le Gouvernement choisit la concurrence généralisée et des recherches de court terme plutôt que la recherche fondamentale, en privilégiant les financements de recherche par projets.
Personnels : indemnités supplémentaires contre précarisation et dérégulation
Compétition entre personnels pour décrocher une prime, nouveaux contrats précaires tels les « chaires de professeurs juniors » et les CDI de mission scientifique, partenariats entre le secteur public et le secteur privé : voici l’avenir de la recherche préparé par Macron. Les femmes risquent d’être les premières victimes de ces mesures.
Vers un libéralisme autoritaire
Le Gouvernement se propose de lutter contre le « populisme » et les « discours contestataires ou complotistes et de fausses informations », dans la lignée de la loi « fake news » et contre la haine sur internet. Cela pourra notamment passer par la création d’un Science média center pour mettre en relation journalistes et scientifiques. L’influence des lobbyistes sur l’équivalent anglais qui inspire le Gouvernement est inquiétant.
Les députés de la France insoumise ont combattu ce projet et défendu notre vision de l’enseignement supérieur et de la recherche au travers de nombreuses propositions.
1. Supprimer le financement de la recherche par des appels à projets
Pour mettre fin au système de financement de la recherche par des appels à projets, nous demandons la suppression de l’ANR, l’Agence Nationale de la Recherche. Les chercheurs perdent un temps fou en préparation de dossier et en travail administratif au lieu de se consacrer à leur travail. Ils ne peuvent pas travailler sereinement sur le long terme ce qui nuit à la qualité de leurs recherches. Seule une minorité d’universités bénéficient de ces budgets, créant un système à deux vitesses.
2. Un véritable budget pour l’enseignement supérieur et la recherche
Nous souhaitons que le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) soit doublé entre 2021 et 2025. C’est la proposition que nous avons défendions déjà dans le livret thématique « Le choix du savoir : des moyens pour chercher et étudier ». La programmation budgétaire présentée par le Gouvernement n’est pas à la hauteur des enjeux.
3. Recruter des titulaires et mettre fin à la précarité
Les établissements publics de l’enseignement supérieur et de la recherche manquent de personnels. Le taux d’encadrement des étudiants n’a cessé de se dégrader et les effectifs des grands organismes de recherche comme le CNRS baissent chaque année.
Nous proposons le recrutement de 5 000 fonctionnaires d’ici 3 ans, période pendant laquelle nous réaliserons un audit précis des besoins avec tous les acteurs. Cette mesure s’accompagne d’un plan de titularisation des précaires exerçant des emplois sur des fonctions pérennes dans la recherche publique. Il n’y a aucune raison valable pour les maintenir dans la précarité et de moins les rémunérer que leurs collègues titulaires. Le recours aux non-titulaires sera plafonné à 5 % des effectifs hors doctorants et stagiaires.
4. Mettre fin aux écarts de salaire entre les femmes et les hommes
Nous proposons une enveloppe budgétaire de rattrapage à la hauteur des écarts de salaires observés entre les femmes et les hommes après un diagnostic précis. Les établissements publics de la recherche et de l’enseignement supérieur seront alors dotés d’un budget permettant de conduire réellement des politiques d’égalité entre les femmes et les hommes. Cette proposition est soutenue par le Haut Conseil à l’Égalité entre les hommes et les femmes.
Nous proposons également un moratoire sur les dispositifs d’individualisation des carrières et des rémunérations tant qu’une évaluation précise et exhaustive des inégalités entre les femmes et les hommes qu’ils engendrent n’est pas produite. En effet, les systèmes de primes individuelles, outre le fait qu’elles organisent une concurrence entre chercheurs, exacerbent les différences de salaires entre les femmes et les hommes.
La revalorisation des rémunérations indiciaires doit être privilégiée.
5. Protéger les chercheurs et garantir leur indépendance
Afin de garantir l’indépendance des chercheurs du service public de la recherche, nous proposons que ceux-ci ne puissent pas être rémunérés par le secteur privé et soient couverts par le régime des lanceurs d’alerte. Le projet de loi du Gouvernement augmente les situations dans lesquels les chercheurs peuvent faire face à des conflits d’intérêts. L’objectif de la recherche est la création et la critique des savoirs au service du bien commun, et pas au service de quelques actionnaires.
6. Donner les moyens à la recherche pour planifier la bifurcation écologique
Nous demandons qu’enfin les moyens nécessaires soient dégagés pour permettre la bifurcation écologique. Celle-ci nécessite un investissement massif dans la recherche dans les domaines de l’énergie, de la mobilité́, de la construction et de l’agriculture.
7. Partager les connaissances : création d’une université populaire dans chaque université
Nous proposons la création d’une « université́ populaire » ouverte, avec des cours libres, assurés volontairement par des enseignants-chercheurs dans le cadre de leur service, dans chaque université́. C’est un outil de partage des savoirs avec tous les citoyens.
8. Supprimer le Crédit Impôt Recherche (CIR), un cadeau aux grandes entreprises
Nous souhaitons supprimer le Crédit Impôt Recherche (CIR), une niche fiscale coûteuse et inefficace. Le CIR est en 2020 la première dépense fiscale du budget de l’État, avec un coût qui devrait dépasser les 6,5 milliards d’euros.
Pour quel résultat ? Il est souvent utilisé dans des montages d’évasion fiscale : les groupes l’utilisent, puis cèdent leurs brevets à une de leurs filiales établie dans un paradis fiscal et déduisent des redevances de leur bénéfice imposable en France.
Prenons l’exemple des laboratoires pharmaceutiques. Sanofi bénéficie au titre du CIR d’un crédit d’impôt annuel de 150 millions d’euros. Cela représente un manque à̀ gagner sur 10 ans de 1,5 milliard d’euros pour l’État. Pourtant en 10 ans les effectifs de recherche et développement de Sanofi en France sont passés de 6300 à 3800 en 2019 et en pleine crise sanitaire, le groupe annonce de nouvelles suppressions d’emplois. En réalité, Sanofi dépense une grande partie des sommes publiques perçues pour de l’achat de brevets et verse plusieurs milliards d’euros par an à ses actionnaires… Les grandes avancées thérapeutiques semblent principalement issues de la recherche publique (bedaquiline, zolgensma, etc.), et les bénéfices sont reversés de façon abusive aux laboratoires privés. Les risques représentés par la recherche sont donc publics, socialisés, et les profits privatisés.
9. Valoriser le doctorat
Moins de trois doctorants sur quatre obtiennent aujourd’hui d’un financement pendant leur thèse de doctorat, et un tiers seulement dans les disciplines relevant des Lettres, Sciences Humaines et Sociales (LSHS). La Confédération des jeunes chercheurs (CGE) dénonce un « sous-financement du doctorat entraînant des effets délétères pour les jeunes doctorant-es non- financé-es : précarité matérielle, affaiblissement du caractère professionnel du doctorat, allongement de la durée des thèses, baisse d’attractivité du doctorat. ». Preuve en est la baisse continue du nombre de doctorants en France depuis 2009. Nous avons soutenu la proposition de la CGE de financer de 15 000 contrats doctoraux supplémentaires entre 2021 et 2025. En 5 ans, l’objectif de financer tous les nouveaux doctorants inscrits en thèse sera ainsi atteint.
Dans le livret thématique consacré à l’enseignement supérieur et à la recherche, nous proposons une véritable politique de reconnaissance du doctorat, avec notamment les mesures suivantes :
- Une expérience de recherche validée par un doctorat sera requise pour tous les postes impliquant la supervision de recherches dans le public ;
- Dans le privé, les aides publiques seront conditionnées à l’embauche de docteurs dans les postes d’encadrement ;
- Le titre de doctorat sera reconnu dans les conventions collectives.
10. Supprimer le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES)
Nous proposons de supprimer le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES). Cette instance est contestée par de nombreux chercheurs qui dénoncent son rôle éminemment politique. Par exemple, lors de la campagne de candidature à la présidence du HCERES, des chercheurs ont déposé́ une candidature collective. Ils expliquaient que leur « candidature collective visait à̀ renouer avec les principes d’autonomie et de responsabilité́ des savants qui fondent la science. Il ne saurait y avoir d’administration distincte dotée d’un « président » pour superviser ces pratiques : c’est l’ensemble du corps savant qui doit présider à l’évaluation qualitative de sa production. Sans recherche autonome, nous n’avons pas d’avenir ». Ces craintes sont confirmées par la nomination imminente de Thierry Coulhon, ancien conseiller d’E. Macron à l’Élysée, à la tête du HCERES.