Pendant ces jours de confinement les groupes thématiques de la France insoumise ont décidé d’apporter leur contribution à travers des réflexions sur la situation actuelle. Chaque jour, un ou plusieurs articles d’analyses seront mis en ligne et produits par un des groupes thématiques. Retrouvez ces productions sur la page de l’espace programme.
Il aura fallu une crise sanitaire pour que le président et son gouvernement annoncent une prolongation, d’au moins deux mois, de la trêve hivernale censée s’achever le 28 mars. Il est scandaleux que seule la crise sanitaire pousse le gouvernement à respecter ses obligations en matière de droit au logement.
Il reste toutefois possible, même hors période de crise sanitaire, de lutter au niveau municipal contre le désengagement de l’État face à la multiplication des expulsions.
L’aggravation du mal-logement en dix ans, résultat d’un désengagement de L’État
Selon les chiffres de la Fondation Abbé Pierre, les expulsions ont augmenté de 41% en 10 ans. Cette multiplication des procédures, venant sanctionner des personnes déjà en situation précaire, est principalement la conséquence du désengagement financier de l’État dans les politiques du logement. Le rapport de la mission d’audit de modernisation de l’État sur les indemnisations des refus de concours de la force publique daté de 2006 est en ce sens édifiant. En effet, ce rapport incite vivement les préfets à prêter davantage le concours de la force publique et donc à limiter au maximum le paiement d’indemnités.
Les bailleurs sociaux, dont la mission est d’assurer un accès à un logement de qualité pour tous, sont notamment amenés à accroître les procédures d’expulsions, faute de soutien financier de l’État. On expulse aujourd’hui de leur logement PLS (loyers les plus élevés du parc social) des personnes bénéficiant du DALO (droit au logement opposable) pour impayés après avoir laissé filer la dette pendant des années en arguant de leur mauvaise foi. Cette situation paradoxale est accentuée par les coupes budgétaires sur l’hébergement, par l’application de la Réduction Loyer Solidarité et par l’application de la loi ELAN (dite loi logement 2018) . Ces mesures prises sous le gouvernement d’Édouard Philippe ont principalement pour effet d’empêcher les bailleurs sociaux de remplir pleinement leur mission de service public en les privant de leurs financements principaux, en les poussant à vendre leur patrimoine et en privatisant une partie de leur activité.
Cette contradiction apparente entre droit de la propriété et droit au logement est en réalité le résultat d’une politique de l’État. En effet, toutes les personnes remplissant les conditions d’accès aux logements locatifs sociaux et visée par un jugement d’expulsion sont qualifiées de publics prioritaires du dispositif DALO. Cela signifie que la commission de médiation rattachée au Préfet émet une liste des demandeurs à loger ou héberger d’urgence. Le Préfet désigne ensuite chaque demandeur à un bailleur du département. La commission d’attribution des logements du bailleur, compétente pour attribuer, étudie la recevabilité de la demande et la priorisation. En cas de refus, le Préfet peut attribuer directement.
Preuve qu’il s’agit encore bien là d’une responsabilité de l’État, le fait qu’après une “tentative d’expulsion”, qui fait elle-même effectivement suite à une décision du juge judiciaire, le préfet peut refuser le concours de la force publique pour trouble à l’ordre public. Il doit alors indemniser le propriétaire bailleur, public ou privé. Or, depuis une dizaine d’année, le concours de la force publique est de plus en plus systématiquement donné.
La réaction de certaines villes face aux carences de l’action de l’État en matière d’expulsion
A la demande de nombreuses associations telles que le DAL et au regard de l’accentuation du mal-logement, il était absolument nécessaire de renforcer la lutte contre les expulsions sans solution afin d’assurer un droit au logement effectif.
Dès fin mars 2017 (fin de la trêve hivernale), sept arrêtés de sept maires de Seine Saint Denis (La Courneuve, Villetaneuse, Aubervilliers, Stains, Saint Denis, Bagnolet et Bondy) sont pris visant à empêcher les expulsions sans solution dont la teneur est la suivante : “Lors de toute expulsion locative sur le territoire de la commune, il devra être fourni au Maire ou à son représentant qualifié la justification que le relogement de la personne expulsée et de sa famille dans un logement décent aura été assuré”.
Le 25 janvier 2018, le tribunal administratif (TA) de Montreuil annule ces arrêtés pour excès de pouvoir des maires, venant faire obstacle à une décision de justice.
Les arrêtés “anti-expulsion” pris concomitamment par des villes comme Vénissieux et Aubagne subissent le même sort.
Le 22 mai 2019, sur délibération du conseil municipal du 13 mai, le maire de Grenoble signe un arrêté “anti-mise à la rue” avec un contenu légèrement différent des arrêtés précédemment cités, inspiré par une commune du Puy de Dôme : “Lors de toute expulsion de domicile sur le territoire de la commune, il devra être fourni au Maire ou à son représentant qualifié la justification qu’une solution effective, décente et adaptée de logement ou le cas échéant d’hébergement, ait été proposée à la ou les personnes intéressées”.
Le 28 juin 2019, le TA de Grenoble annule l’arrêté sur les mêmes fondements que le TA de Montreuil, c’est à dire pour illégalité et incompétence en matière de logement. Le 20 novembre 2019, la Cour Administrative d’Appel de Lyon vient confirmer la décision du TA. C’est la fin de la procédure juridictionnelle car aucun recours n’a été effectué devant le Conseil d’État.
Remise en cause d’une décision de justice, “vraiment” ou un moyen utile de lutter contre le désengagement de l’État ?
Comme rappelé plus haut, bien que la procédure d’expulsion soit engagée par un bailleur privé ou public et doit faire l’objet d’une décision du juge judiciaire, le Préfet a un rôle important à jouer pour trouver des solutions de relogement.
Le maire de Grenoble rappelait d’ailleurs au moment de la prise de l’arrêté que : “Ce ne sera évidemment pas aux propriétaires de trouver un logement ou un hébergement aux personnes avec lesquelles elles sont en litige mais à l’État qui comme le prévoit la loi et en vertu des textes en vigueur est le garant du droit au logement et à l’hébergement”.
Dès lors, ces arrêtés n’ont pas vocation à remettre en cause la décision de justice d’expulser des personnes d’un logement mais bien de mettre l’État face à ses responsabilités en matière de logement. L’État doit, en effet, faire en sorte de trouver une solution de relogement pour les publics prioritaires du DALO. Par ailleurs, le trouble à l’ordre public ne devrait-il pas être systématiquement être caractérisé en zone tendue où il est quasiment impossible de se reloger ? Ne relève-t-il pas également de la compétence du maire de prévenir tout trouble à l’ordre public ?
En ce sens, une instruction ministérielle de 2012 invitait d’ailleurs les préfets à ne pas accorder le concours de la force publique à l’égard des prioritaires DALO non relogés. Cette instruction ne constituant pas une norme juridique ayant force obligatoire, les préfets ne la respectent pas forcément.
Le Conseil d’État devrait pouvoir être mis en mesure de se prononcer sur cette problématique. Il est ainsi proposé aux maires qui souhaitent mettre en œuvre le droit au logement dans leur commune de prendre un arrêté avec le contenu suivant : “Dans le cadre d’expulsion locative sur le territoire de la commune et afin de prévenir tout trouble à l’ordre public et garantir l’exercice du droit au logement, il est demandé aux services de la préfecture avant de prêter le concours de la force publique de systématiquement fournir au Maire ou à son représentant qualifié la justification qu’une solution effective, décente et adaptée de logement ou le cas échéant d’hébergement, ait été proposée à la ou les personnes intéressées”.
En complément, il faudrait mettre en place des services municipaux ou métropolitains de recours au droit permettant notamment d’identifier rapidement les publics prioritaires DALO et de pouvoir contester, le cas échéant, les décisions du Préfet par le juge.
Enfin, il est surtout nécessaire d’exiger que la procédure d’expulsion soit mise en cohérence légalement avec l’évolution législative et réglementaire qui a vu émerger le droit au logement opposable. En ce sens, le concours de la force publique ne pourrait être accordé dans certains cas, tels que lorsque la personne ne serait pas en mesure d’accéder à un logement ses propres moyens.
Le coronavirus met en exergue le désengagement réel de l’État vis-à-vis du logement. La multiplication des expulsions a conduit des milliers de locataires à une précarité renforcée, précarité qui devient invivable avec les mesures de confinement et les arrêts de travail.
Le quotidien de toutes ces personnes est une source de stress et d’angoisse perpétuelle, accentuée par la sur-occupation et/ou l’insalubrité des logements, l’impossibilité de payer ses factures d’électricité, d’eau, et pire encore par l’absence de logement tout court. Nous appelons à ce que cette crise soit le moment de la solidarité et de l’entraide et qu’elle soit le temps de la mise en œuvre nos propositions programmatiques en matière de logement.
Article rédigé par le groupe thématique logement de La France insoumise. Vous aussi, rejoignez un groupe thématique.