Dans le cadre de sa campagne « Pour un accueil digne », La France insoumise a déposée une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur la violation des droits humains aux frontières françaises.
Elle est présentée par les député·es Danièle Obono, Clémentine Autain, Ugo Bernalicis, Éric Coquerel, Alexis Corbière, Caroline Fiat, Bastien Lachaud, Michel Larive, Jean‑Luc Mélenchon, Mathilde Panot, Loïc Prud’homme, Adrien Quatennens, Jean‑Hugues Ratenon, Muriel Ressiguier, Sabine Rubin, François Ruffin, Bénédicte Taurine, M’jid El Guerrab, Marie‑George Buffet, Elsa Faucillon, Sébastien Nadot, André Chassaigne, Pierre Dharréville, Jean‑Paul Dufrègne, Sébastien Jumel, Jean‑Paul Lecoq, Stéphane Peu
« Mesdames, Messieurs,
Actuellement, des femmes, des hommes et des enfants perdent la vie en tentant de traverser les frontières intérieures françaises. Les personnes premières concernées, les organisations non‑gouvernementales (ONG), les associations, les institutions internationales et nationales font le constat de dysfonctionnements graves et systémiques aux frontières intérieures françaises mettant en danger l’intégrité physique et psychique de nombreuses personnes, dont des mineur·es.
I. Des violations systématiques des droits
Depuis le rétablissement des contrôles aux frontières du 13 novembre 2015, en dérogation de l’application normale des traités de Schengen, de nombreuses alertes sur des pratiques illégales inquiétantes ont été faites à la frontière franco‑italienne.
Elles pointent notamment des actes en contravention avec la loi par des détenteurs et détentrices de l’autorité publique au niveau des postes frontières.
Quatre rapporteurs du Contrôleur des lieux de privations de liberté (CGLPL) se sont déplacés du 4 au 8 septembre 2017 dans les locaux du Service de police aux frontières terrestres (SPAFT) de Menton. Le rapport publié à la suite de cette visite indique que :
“[…] les contrôleurs ont été témoins d’un acte de violence par un fonctionnaire du SPAFT faisant fonction de chef de poste en soirée, à l’encontre d’un jeune migrant”. Le rapport pointe “[…] des locaux indignes. Les mineurs et les femmes restent jusqu’au matin dans une « salle d’attente » pouvant accueillir jusqu’à trente personnes, dépourvue de tout confort minimal (quelques bancs ne permettant pas de s’allonger, un WC à la turque sans verrou). Les hommes majeurs passent la nuit dans des structures modulaires à l’extérieur du poste de police jusqu’à l’ouverture du poste frontalier, dans des conditions indignes : quatre modulaires sans aucun mobilier dont le sol est sale, encombré de détritus, de cartons et de quelques couvertures non nettoyées sales ; trois sanitaires chimiques dans un état immonde. Les points d’eau installés dans la salle d’attente et dans la cour ne permettent pas d’assurer l’hygiène corporelle des personnes en attente. Aucun équipement (matelas, couverture…) n’est fourni pour dormir ou se protéger de la fraîcheur de la nuit. De plus, les étrangers qui passent plusieurs heures de jour comme de nuit dans ces locaux ne bénéficient d’aucun repas. Seuls quelques madeleines et des bouteilles d’eau sont distribuées à la demande, voire selon la bonne volonté des fonctionnaires de police.” (1)
Les rapporteurs ont également constaté des entraves dans l’accès des droits des personnes entrant sur le territoire français ainsi que des pratiques illégales dans l’accomplissement des missions de police, dont certaines particulièrement discriminatoires, et notamment :
- des refoulements de mineur‑e‑s à la frontière en l’absence de toute procédure ;
- des formulaires de refus d’entrée pré‑cochés ;
- la pratique de contrôles discriminants basés sur des critères phénotypiques (contrôle dit “au faciès”) ;
- l’absence de lecture des décisions prises par les agent‑e‑s de police et de l’explicitation de leur portée ;
- le refus d’enregistrer et de traiter les demandes d’asile par les agent‑e‑s de la police aux frontières au motif que celles‑ci seraient irrecevables ;
- le harcèlement des personnes aidantes.
Les comportements violents constatés ont fait l’objet d’un signalement au Procureur de la République de Nice au titre de l’article 40 du code de procédure pénale. Pour l’instant, les suites données à ce signalement au Procureur ne sont pas connues.
Cette violation de la procédure applicable est également signalée par l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé), le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti) et la Cimade : décisions irrégulières de refus d’entrée, absence d’information sur les droits des personnes interpellées, entraves multiples au droit d’asile, absence de prise en charge des mineurs isolés étrangers, contrôles ciblés et discriminatoires, privation de liberté sans cadre légal des personnes en provenance d’Italie (notamment à Menton Pont Saint‑Louis et dans la gare de Menton‑Garavan)(2).
II – Le cas particulièrement préoccupant du traitement des enfants
Les faits susmentionnés sont corroborés par les témoignages de Guillaume Gontard, sénateur de l’Isère et Michèle Rivasi, députée européenne, à la suite de leurs visites à la Police aux frontières de Menton, en avril 2018.
Les élu‑e‑s ont constaté des pratiques suspectes, plus spécifiquement concernant les mineur‑e‑s isolé‑e‑s :
“On a eu accès à un fichier sur lequel, pour certains jeunes, les dates de naissance indiquées étaient les mêmes, le 1er janvier 2000. On a demandé pourquoi, les policiers nous ont dit que les jeunes ne connaissaient pas leur date de naissance. Deux d’entre eux nous ont dit qu’ils étaient de 2002. Les policiers ont répondu qu’ils s’étaient trompés”. Voire des pratiques illégales : “Dans le poste, il y avait deux garçons qui paraissaient très jeunes, les policiers nous ont dit qu’ils étaient là depuis le matin. Les jeunes nous ont dit qu’ils étaient là depuis la veille. Les policiers ont fini par reconnaître qu’ils avaient passé la nuit là” (3).
Ces propos venaient déjà confirmer en 2018 les constats faits en septembre 2017 par le CGLPL qui relevait “que des mineurs isolés interpellés sur le territoire ont été ré‑admis vers l’Italie alors qu’ils ne peuvent en aucun cas faire l’objet d’une mesure d’éloignement. Quelques mineurs seulement (27, soit moins de 0,3 % des mineurs interpellés à Menton) ont été confiés aux services de l’aide sociale à l’enfance entre janvier et septembre 2017”.
Il s’agit de violations graves des droits des enfants, en contravention directe avec l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 proclamant l’intérêt supérieur de l’enfant et ayant une portée contraignante en droit français. Le principe de l’intérêt supérieur du droit de l’enfant est également un principe constitutionnel et oblige l’ensemble des pouvoirs publics.
Le 20 novembre 2018, à la suite de leur visite, les élu‑e‑s ont remis au Procureur de la République de Nice un document qui a ouvert une enquête préliminaire. Pour l’instant, les avancées de cette enquête préliminaire ne sont pas connues.
Ces pratiques illégales à l’encontre d’enfants sont aussi exposées dans le rapport de l’ONG Human Rights Watch « Ça dépend de leur humeur » ‑ Traitement des enfants migrants non accompagnés dans les Hautes‑Alpes, publié le 5 septembre 2019 (5).
“Dans les dossiers examinés par Human Rights Watch, beaucoup d’enfants ont reçu une évaluation de l’âge négative parce que, de l’avis de l’évaluateur, ils n’ont pas su faire un récit clair de leur périple – c’est‑à‑dire qu’ils ont en réalité fait des erreurs minimes de dates ou confondu les noms des endroits traversés, ou encore qu’ils n’étaient pas enclins à évoquer avec un adulte qu’ils rencontraient pour la première fois leurs expériences les plus pénibles”.
Le rapport souligne également une inadéquation des procédures d’évaluation de l’âge, conduisant en réalité à une ineffectivité des droits des enfants concernés à une protection : “Beaucoup présentent des symptômes de trouble de stress post‑traumatique (TSPT), selon ce qu’ont expliqué à Human Rights Watch des médecins travaillant avec les enfants migrants dans les Hautes‑Alpes. Pourtant, le processus d’évaluation de l’âge ne semble pas tenir compte de ces circonstances, ni des effets bien connus du TSPT sur la mémoire, la concentration et l’expression des émotions.”
Ce déni de droit peut conduire à une criminalisation des mineur‑e‑s, qui se retrouvent parfois emprisonné‑e‑s pour faux et usage de faux lorsque l’authenticité de leurs documents d’identité n’a pas pu être établie.
Des pratiques similaires de la part de détenteurs et détentrices de l’autorité publique ont été constatées à d’autres frontières intérieures françaises, notamment aux alentours de Calais.
Dans son rapport Exilés et droits fondamentaux, trois ans après le rapport Calais, le Défenseur des droits a souligné des évacuations de campements réalisées dans un cadre juridique flou et sans accompagnement adapté. Est précisé dans ce rapport que :
“Le Défenseur des droits a interrogé au cours des mois de juin et juillet 2018 les préfets concernés pour identifier les fondements légaux des interventions et s’assurer que les obligations d’accompagnement des personnes ont été respectées. Les réponses apportées à ce jour manquent de précision et ne permettent pas d’affirmer avec certitude que les lois et les instructions précitées ont été appliquées”.
Le rapport pointe également du doigt des contrôles d’identités détournés de leur objet et utilisés aux fins de dissuader l’accès aux lieux d’aide (6).
III – L’absence d’actions mises en œuvre pour faire cesser ces situations illégales malgré de nombreuses alertes
La concordance de ces constats, leur gravité, leur persistance malgré plusieurs signalements, de même que leurs occurrences à différentes frontières intérieures françaises questionnent sur le rôle et les responsabilités de la chaîne de commandement dans leur survenance.
À cela s’ajoutent les différents signalements faits au Procureur de la République de Nice au titre de l’article 40, dont les suites sont à ce jour encore inconnues.
Enfin, les personnes solidaires font état de harcèlement, de campagnes de dénigrements de la part de responsables politiques, d’intimidations et de pressions policières ou judiciaires à leur encontre ‑ faits corroborés par le rapport La solidarité prise pour cible d’Amnesty International (7).
Les forces de police mobilisées sont dans un état d’épuisement physique et psychique important, avec pour certains de ces membres une perte de sens profonde de leur travail et des conflits moraux face aux ordres qui leur sont donnés à exécuter.
Une commission d’enquête est ainsi nécessaire pour mettre à jour la chaîne de responsabilités dans la maltraitance systématique qui a lieu à nos frontières intérieures, en marge de la légalité.
Proposition de résolution
Article unique
En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête de trente membres chargée d’évaluer les responsabilités politiques et de contrôler l’application de la loi et le respect des droits fondamentaux dans le cadre des activités de police aux frontières françaises.
Cette commission effectuera en outre un examen de la législation en la matière et fera des propositions pour répondre aux dysfonctionnements dont elle aura connaissance.