Édito de Benoît Schneckenburger publié le 6 mai 2019 dans l’Heure du peuple.
Les réseaux sociaux ne font qu’accentuer l’une des caractéristiques de nos régimes politiques : ce sont des démocraties d’opinion. Il s’agit de régimes qui, s’ils reposent sur la liberté de se forger une opinion, supposent que celle-ci puisse s’exprimer dans de bonnes conditions. La liberté de l’opinion est indubitablement un acquis de la Grande Révolution, codifiée par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui stipule que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions (…) ». On assiste depuis quelques années, dans la plupart des démocraties, à un recul de l’État de droit sur ces questions. Les principales organisations de défense des droits humains soulèvent de plus en plus régulièrement les restrictions et les répressions des mouvements sociaux. Les Gilets Jaunes ne font que subir un mouvement de plus grande amplitude, même si ils le rencontrent à un moment de bascule. Le cortège syndical du premier mai, notamment le carré de la CGT a subi neuf salves de gaz lacrymogènes, trois tirs de LBD, les canons à eau et deux charges de CRS à coups de matraques. Le ministre de l’Intérieur mérite bien là son surnom de Castagneur.
Cette liberté d’opinion ne va pas sans une presse libre. À côté des grands médias, pour beaucoup possédés par les grands groupes industriels et financiers, se développe une presse libre, indépendante. La loi sur les Fake-News vise sans discernement les tentatives de manipulations et les médias alternatifs, et les journalistes indépendants qui ont le mieux couvert les mouvements sociaux ont été les plus touchés par la répression : matériels confisqués, violences physiques, arrestations arbitraires. Désormais c’est toute la profession journalistique qui se sent menacée.
Pourtant face à ces tentatives d’informer, la propagande officielle continue. De manière insidieuse, par le choix de l’événementiel passionnel propre aux chaînes d’information en continu. De manière parfois carrément assumée par la caste des éditorialistes. Ils répètent – le plus souvent ce sont des hommes bien à l’aise de couper la parole des militantes et élues qui se confrontent à eux – inlassablement les mêmes propos, les mêmes méthodes. L’épisode du mensonge d’État concernant la fuite des manifestants pour se réfugier dans un hôpital – un « hospice » - l’a bien montré : d’abord reprendre les mots et le tempo du ministre de l’Intérieur ; déconsidérer toute parole alternative contre l’évidence même ; puis tentative de sauvetage de la position même du ministre. Il n’y aura pas de révolution citoyenne sans une transformation profonde et des institutions et du régime d’information. Il y va de la démocratie.