M. Bastien Lachaud interroge M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse sur la révision de l’enseignement de la philosophie au lycée.
En effet, la réforme du lycée conduit à une révision des programmes. Dans ce cadre, le Conseil supérieur des programmes (CSP) a organisé une réunion sur les projets de programmes de philosophie pour les filières générale et technologique avec diverses associations professionnelles de professeurs de philosophie et syndicats enseignants. À cette occasion ont été présentés des projets de programmes qui ne manquent pas d’interroger. Si on entend, naturellement, que toute modification du programme de philosophie est sujette à débats et qu’aucune notion en particulier n’est plus légitime qu’une autre à figurer au programme ou n’en soit à exclure, et que toute idée se comprend de façon transversale, n’étant jamais cantonnée dans un champ philosophique a priori, pour autant, la pertinence de certaines modifications semble ici discutable.
En effet, les nouveaux programmes semblent céder le pas à une vision orientée de la philosophie, non plus vers les principes émancipateurs de l’école laïque républicaine, mais davantage vers la préparation de futurs salariés. Ainsi, la réflexion autour de la notion de travail, qui faisait auparavant partie d’une étude commune avec la technique dans le champ de la culture, disparaît complètement, comme si les relations de travail et leur nature allaient de soi et n’avaient pas réellement à faire l’objet d’une réflexion critique. La place du travail dans la société, le rapport qu’il entretient à une émancipation de la nature, ou à un asservissement de l’homme, ne seraient plus interrogés. Tout un pan de la philosophie, auparavant enseigné autour du champ du « sujet » ne serait plus au programme, au profit d’un nouveau champ, la « métaphysique », qui verrait apparaître la notion d’« idée de Dieu » et « le corps et l’esprit ». La notion d’inconscient, qui apparaissait auparavant de façon spécifique, disparaîtrait en tant que telle, quoique pouvant toujours être abordée dans cette nouvelle notion plus générale. L’ajout de la notion de « l’idée de Dieu » duplique curieusement la notion de religion, qui elle est maintenue. Même si ces deux notions ne se recoupent pas complètement, « l’idée de Dieu » était déjà couramment abordée par les enseignants au cours de la réflexion générale sur la religion. La perspective métaphysique n’est certes pas la même que la notion de religion d’un point de vue anthropologique. Mais l’inscription d’une « idée de Dieu » au singulier oriente vers une réflexion spécifiquement monothéiste, qui semble difficilement justifiable au regard du principe de laïcité.
Le projet de programme orienterait ainsi la réflexion vers des notions techniques, plutôt abstraites, austères, et pouvant paraître absconses aux élèves, notamment dans la partie concernant les séries technologiques. Il est sans doute regrettable qu’une large partie du programme leur soit consacré, alors que des notions plus familières comme le bonheur ou le travail en sont exclues. Une telle modification risque de renforcer le désintérêt des élèves pour la discipline, au lieu de donner des outils conceptuels pour appréhender des sujets sur lesquels ils se posent des questions. En effet, le bonheur faute d’être encore une idée neuve en Europe, semble ne plus être une idée digne d’intérêt pour les lycéens, qui n’auraient tristement plus à y réfléchir, tout comme le devoir, significativement remplacé par la notion de « responsabilité ». Des notions comme le vivant ou la matière, certes techniques, mais sans doute pas davantage que l’existence et le temps ou la métaphysique, sont supprimées, alors que les questions de société vont continuer à se poser avec les décisions autour de l’évolution de la médecine, et les questions de bioéthique.
Même si ces sujets pourront toujours être abordés, ils ne feront plus partie des notions obligatoires. Les futurs citoyens seraient donc moins armés conceptuellement à aborder des questions pourtant complexes, et pour lesquelles il leur faudra prendre des décisions politiques. L’ensemble de ces éléments oriente l’enseignement de la philosophie bien loin de ce que devrait être un enseignement émancipateur propre à l’école de la République. Avec la tentative de fusion de l’enseignement de la philosophie dans un enseignement plus général pour ce qui est de la spécialité « Humanités, littérature et philosophie », ces modifications du programme du tronc commun sont davantage propres à supprimer la réalité de la réflexion philosophique, dans sa spécificité, au profit d’un vernis culturel, voire mystique, qui formerait un supplément d’âme aux futurs travailleurs.
La nouvelle perspective donnée à l’enseignement de la philosophie aux lycéens comporte un risque de repli sur elle-même, sanctifiée comme discipline figée dans un classicisme abstrait et technique, excluant des perspectives plus immédiates et quotidiennes comme le travail ou le bonheur, ou plus contemporaines comme le vivant, pour se replier sur le domaine métaphysique comme une sorte de tour d’ivoire. Si les décisions relatives aux programmes sont prises de façon collégiale, en concertation avec les associations professionnelles et organisations syndicales, le ministre n’est pas absent de la décision finale. Aussi, il souhaite apprendre de sa part quand il entend mener une concertation réelle avec les enseignants de philosophie, avant toute décision définitive sur le programme, et s’il entend revenir sur l’orientation inquiétante que prend ce projet de modification.
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