Un contexte européen favorable pour la France insoumise

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Drapeau européen

Deux événements vont plutôt dans le sens de ce que la France Insoumise défend depuis longtemps pour l’Union européenne. Il montre que le véritable débat ne s’articule pas autour d’une opposition entre souverainiste et « vrais » Européens, entre les partisans de la nation et celles/ceux d’une Europe fédérale, pas plus qu’entre populistes et Européens convaincus ou entre partisans de l’euro et partisans du Frexit. Ces oppositions ne servent qu’à empêcher le débat sur la nature de l’Europe et sont un élément clé du dispositif rhétorico-médiatique verrouillant le plus souvent les discussions sur l’Union européenne, au nom d’un TINA (There Is No Alternative) qui résonne bien au-delà de La République en Marche ou des Républicains. Elles avaient été mobilisées comme jamais en 2005 en faveur du « oui », avec le résultat que l’on sait, favorable en 2005 mais défavorable avec la ratification du traité de Lisbonne.

Avant d’en venir à ces deux événements, il faut rappeler ce que le débat de 2005 a mis en évidence, ce qu’est le projet européen, son essence, sa nature, disons le mot que les libéraux cachent, son idéologie. Pour eux, il existe une tension, plus exactement une contradiction, entre la démocratie et le marché. C’est soit l’une, soit l’autre. Mais cette alternative n’existe que sur le plan logique. Comme le marché est un optimum, comme il alloue les ressources produites au mieux, réalisant ainsi un optimum social, sa mise en œuvre suppose d’en finir avec la démocratie, c’est-à-dire avec toute forme d’intervention politique dans les mécanismes économiques.

Qu’est-ce qu’il faut entendre par démocratie ? Ce qui inquiète les libéraux, ce qu’ils entendent quand le mot « démocratie » est prononcé, c’est le fait majoritaire. Si la majorité décide, alors ce sont les plus pauvres qui décident. Et pourquoi ne décideraient-ils pas une autre répartition des revenus, une répartition plus égalitaire ? Pourquoi ne voteraient-ils pas majoritairement pour un programme instaurant un salaire maximum, une fiscalité redistributive avec 14 tranches d’imposition, la plus élevée étant fixée à 100% ? Voilà le risque pour les libéraux, que la majorité arithmétique devienne une majorité politique, qu’elle prenne la démocratie au mot, au sérieux. Comme l’écrivait l’économiste Jean-Paul Fitoussi il y a déjà longtemps (2004 dans La démocratie et le marché), « la dictature éclairée, au sens où elle réprime la demande sociale, est donc la forme de gouvernement la mieux adaptée à l’économie de marché, et partant la plus désirable pour les économies émergentes. L’essentiel est que le marché soit libre ; peu importe que les individus ne le soient pas ». Cette dernière phrase est la véritable philosophie de la construction européenne, elle est le secret de famille bien gardé des dirigeants européens.

Comment ces derniers parviennent-ils à imposer une dictature éclairée tout en proclamant leur attachement sincère, viscéral, à la démocratie ? Un mot suffit à dire cette dictature, ce mot, vous le connaissez aussi bien que moi, ce mot est omniprésent dans les débats sur l’Union européenne, ce mot vous allez l’entendre chez Europe Écologie les Verts, ce mot, il se murmure encore dans les ruines encore chaude de Solférino où parait-il il y a, plus pour longtemps, un parti se disant socialiste, ce mot vole de la bouche des éditorialistes à celle des experts de tous les plateaux des émissions de débat, ce mot il verrouille, cadenasse, toutes les discussions avant même qu’elle ne s’ouvre, ce mot qui dit comment la dictature éclairée s’est instauré est un mot courant, simple : traité. Ce sont les traités européens qui imposent une dictature éclairée dans l’Union européenne, une dictature dont le président de la République française Emmanuel Macron n’est que le porte-parole, puisque tout son programme n’est que le copier/coller des « recommandations » de la commission. Voilà pourquoi du reste cette élection européenne est un référendum anti-Macron, non pas parce que la France insoumise l’aurait décidé, mais parce qu’Emmanuel Macron n’est que le petit télégraphiste de Bruxelles.

Et encore, même lui n’échappe pas aux recommandations. Le 19 octobre, le directeur général aux affaires économiques et financières au sein de la Commission européenne, Marco Buti (qui le connaît ?) a écrit à la directrice générale du Trésor française, Mme Odile Renaud-Basso, avec réponse souhaitée avant le 22 octobre. Que chacun·e entende bien ici derrière les formules technocratiques, le fouet qui accompagne les traités, ce fouet qui malmène, détruit, la démocratie de notre pays puisque, de fait, ses parlementaires sont privés de leur autorité politique en matière de budget (il y a eu des révolutions pour moins que cela dans l’histoire !) :

« Madame,
Nous vous remercions pour l’envoi du projet de budget (DPB) de la France pour 2019, que nous avons reçu le 15 octobre. Conformément aux dispositions de l’article 7 du règlement (UE) n°473/2013, nous souhaitons vous demander des précisions sur le respect de l’effort budgétaire prévu par la France en 2019 au regard des exigences du bras préventif du pacte de stabilité et de croissance. »

Règlement, exigences du bras préventif du pacte de stabilité et de croissance, tout y est. Alors bien sûr, certain.e.s évoqueront le bon père de famille, qui ne dépense que ce qu’il a sur son compte (je vous laisse vous demander pourquoi c’est le père de famille et non la mère… parce qu’elle est dépensière, la mère !) et diront : Bruxelles demande une gestion saine, à chaque pays de l’organiser comme il l’entend. Perdu ! Car le fonctionnaire européen précise : « Le projet de budget prévoit un taux de croissance nominale des dépenses primaires nettes de 1,6%, supérieur à la hausse maximale recommandée de 1,4% ». Il ne s’intéresse qu’aux dépenses, en clair à la baisse structurelle de la dépense publique (moins d’argent pour les services publics, moins d’argent pour les collectivités territoriales) ; il n’a pas un mot pour les multiples et incessants cadeaux fiscaux faits et refaits pour les plus riches. En clair, au nom des traités, ce fonctionnaire européen que nul ne connaît demande (poliment, mais fermement, avec la fermeté des traités) une baisse des dépenses publiques : moins d’hôpitaux, moins de service public pour moins de dettes et plus d’inégalités, voilà la finalité des « recommandations » européennes, voilà la philosophie de la construction européenne actuelle, voilà ce que fabrique la dictature éclairée des traités.

Chacun·e comprend désormais pourquoi, lorsque Nicolas Hulot a démissionné il a évoqué l’impossibilité de mener la transition écologique dans le cadre européen :
« Dans cette équation impossible des critères maastrichiens sur un plan budgétaire, est-ce qu’on essaye un peu d’être disruptif, pour investir dans la transition écologique ? Les investissements qui permettent de réduire notre dépendance énergétique, qui ne sont pas des dépenses mais des investissements, est-ce qu’on s’est autorisé à essayer de sortir un petit peu de l’orthodoxie économique et financière ».

C’est donc bien ou les traités, les 3% de déficit, une dette réduite, une austérité budgétaire permanente ou la transition écologique et les investissements qu’elle impose de faire. L’urgence écologique impose de ne pas respecter les traités, voilà ce que dit Nicolas Hulot.

Voilà le verrou qu’il faut faire sauter, par la démocratie, par le vote massif et enthousiaste pour la liste présentée par la France insoumise.

Mais n’est-ce pas illusoire de croire que la France, toujours présentée « toute seule », se propose de ne pas respecter les traités européens « qu’elle a pourtant signés » (vous connaissez la formule répétée sur tous les tons) ? C’est là où deux événements récents au moins permettent de douter de la solitude de la France (pour ne rien dire du peu de cas qui est fait de la démocratie, de la force du vote, à moins que Jean-Claude Junker n’ait dit tout ce qu’il y avait à dire sur le sujet, « il ne peut y avoir de démocratie contre les traités »!). Le premier se déroule en Italie. Certes, ce ne sont pas nos amis qui sont au pouvoir, mais regardons quand même. Le gouvernement, issu d’élections démocratiques, a soumis à l’appréciation de la Commission européenne son projet de budget. En termes de déficit, celui-ci respecte les 3%. Mais cela ne suffit pas. Écoutons le commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovici (22 octobre) : « Le déficit dit structurel - celui qui est indépendant de la croissance, celui qui augmente la dette - est beaucoup trop élevé ». Sans regarder le contenu de la dépense publique, comprenons : il ne faut pas investir car un investissement anticipe toujours sur la croissance à venir, il augmente conjoncturellement la dette avant de créer des revenus nouveaux qui la réduise, si je reste dans la logique économique. S’il s’agit de sauver la planète, le « bénéfice » de l’investissement ne devrait même pas avoir à être justifié de manière comptable ! Moscovici ajoute : « Le maximum que nous pouvons faire, c’est une possibilité, nous allons en débattre, c’est de demander à l’Italie de resoumettre un autre budget qui tienne compte des observations, des questions et aussi des règles européennes ». Un autre budget ! Rien que ça, un autre budget qui tienne compte, soulignons, des observations, des questions et aussi des règles européennes, en bref des traités ! Que fait donc le gouvernement italien pour l’instant ? Il propose un budget qui s’écarte des traités et de leur interprétation.

En Espagne maintenant, jeudi 11 octobre, le Premier ministre espagnol (parti socialiste ouvrier espagnol, P.S.O.E.) Javier Sanchez a signé un accord de cinquante pages avec le leader de Podemos Pablo Iglesias. Et que dit notamment cet accord ?

« Hausse du salaire minimum, qui passerait de 736 à 900 euros (sur 14 mois) à partir de janvier – Podemos plaidait pour 1 000 euros –, une augmentation de 3 % des petites retraites et la revalorisation de toutes les pensions en fonction de l’inflation, une aide spécifique pour les chômeurs de plus de 52 ans, ou encore des hausses des budgets pour la recherche, le logement et l’aide aux personnes âgées » ! Pas mal non ? Mais ce budget recevra-t-il l’approbation de la Commission ? C’est peu probable et vous comprenez désormais pourquoi. Il ne suffit en effet pas de proposer des recettes nouvelles, création d’un impôt de 1 % sur le patrimoine à partir de 10 millions d’euros, durcissement de la fiscalité pour les ménages gagnant plus de 130 000 euros par an et instauration d’une taxe – modeste – sur les transactions financières, à hauteur de 0,2 % sur n’importe quel achat d’actions émises en Espagne. Il faut baisser la dépense publique, réduire les investissements publics, tel est le mantra des traités européens. Mais, le gouvernement espagnol s’engage dans une remise en cause des traités.

Si Jean-Luc Mélenchon avait été élu, la France, tel est notre programme, aurait engagé la transition écologique, aurait lancé un grand plan d’investissement, le gouvernement insoumis aurait donc proposé un budget qui ne respecte pas les traités. Mais la France (2ème puissance économique de l’Union européenne) ne serait pas seule, elle serait avec l’Italie (troisième puissance) et avec l’Espagne (quatrième puissance). Alors, pas de rapport de force en Europe ? Isolée en Europe la France si elle investissait pour la transition écologique ? Non ! Voilà de bonnes nouvelles pour celles et ceux qui débattent sérieusement de l’Europe, qui ne se réfugient pas derrière leur « conviction européenne de vrai Européen », celles et ceux qui voient que l’Union européenne fabrique aujourd’hui des gouvernements d’extrême-droite et des partis d’extrême-droite, celles et ceux qui comprennent qu’il n’y a pas plus grand péril pour l’Union européenne que les traités actuels qui la définissent.

Il est donc temps d’agir, il est temps d’entrer en campagne, pour qu’advienne l’ère du peuple, pour que l’Union européenne ne soit pas le verrou de la transition écologique mais son moteur, pour qu’advienne un monde solidaire, pour que notre internationalisme généreux et ouvert s’impose face à l’extrême-droite, pour qu’adviennent enfin, les jours heureux, nos jours heureux, pour que le bonheur ne soit plus une idée neuve en Europe mais pour que le bonheur soit à l’ordre du jour.

Votez et faites voter pour la liste aux élections européennes proposée par la France insoumise !

 

Marie Duret-Pujol

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