Coopération au développement : l’incohérence des politiques européennes

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Article de Laurent Levard publié le 19 octobre 2018 pour l’Heure du Peuple à cette adresse.

La coopération au développement constitue l’un des piliers de la politique extérieure de l’Union européenne (UE). Sur la période 2014-2020, l’aide publique au développement (APD) de l’UE au bénéfice des pays du Sud s’est élevée à 11 milliards €. Sur ce montant, 22% correspondent à de l’aide budgétaire, 25% à des contributions à l’ONU et aux organisations internationales et 35% à des contrats de marchés (services, fournitures, travaux) et à des subventions. Avec un montant d’aide de 75 milliards €, l’UE et ses Etats membres fournissent la moitié de l’APD mondiale. Ceci représente 0,51% du revenu national brut (RNB) de l’UE. Si ces chiffres peuvent laisser penser que l’UE et ses Etats membres constituent des champions en matière de coopération internationale, ils doivent cependant être remis dans leur contexte.

Tout d’abord, on est encore loin de l’engagement de 0,7% que les Etats membres s’étaient engagés à atteindre pour l’année 2015. Par ailleurs, même si les actions financées sont censées répondre aux priorités des pays bénéficiaires de l’aide, l’autonomie de ces pays est en réalité souvent fortement amoindrie. En effet, l’UE conditionne son appui à l’existence d’engagements auprès de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International et à l’inclusion de questions qui répondent largement à ses propres intérêts, comme la « bonne gouvernance » (qui doit notamment favoriser les investissements étrangers), ou encore la lutte contre l’émigration.

Mais surtout, cette politique, si tant est qu’elle soit positive pour les pays du Sud et leurs populations, ne représente qu’une maigre compensation des effets négatifs d’un système économique mondial dominé par les entreprises multinationales et la sphère financière et que l’UE ne fait que renforcer au travers tout un certain nombre de politiques.

Ainsi, l’association CCFD-Terre solidaire estimait il y a une dizaine d’années que la fuite illicite de capitaux des pays du Sud représentait dix fois plus que le montant global de l’APD des pays industrialisés. Il y a deux ans, la Commission indépendante pour la réforme de l’impôt international sur les sociétés (Icrict) estimait que l’Afrique perdait chaque année entre 34 et 68 milliards d’euros du fait de l’évasion et de l’optimisation fiscales, dont 60% du fait de transferts artificiels de marges au sein des entreprises multinationales vers les paradis fiscaux. Ces flux privent les Etats du Sud de ressources fiscales essentielles pour le développement. Or, non seulement les multinationales européennes sont parmi les principales bénéficiaires des paradis fiscaux, mais les quelques mesures prises par l’UE sont largement insuffisantes pour mettre fin à la saignée financière exercée aux dépens des pays du Sud. L’UE a récemment établi une liste de paradis fiscaux bien maigre au regard de la liste établie par l’ONG Oxfam, laquelle inclue notamment quatre Etats européens (Luxembourg, Irlande, Pays-Bas, Malte).

Dans le même temps, l’UE tente depuis des années d’obstruer le projet de Traité des Nations-Unies contraignant les multinationales à respecter les droits humains : opposition à la mise en place du groupe de travail intergouvernemental de la Commission des droits de l’Homme en 2014, boycott de sessions de travail et consultations, multiplication des interventions remettant en cause le mandat du groupe de travail et la légitimité de sa présidence. Or, c’est essentiellement dans les pays du Sud que les violations des droits humains de la part des entreprises multinationales sont les plus graves et massives : conditions de travail et de rémunération des salariés, expulsion des populations locales, contamination de l’environnement.

En matière de politique commerciale, l’UE fait pression depuis vingt ans sur les pays dits ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) pour signer des accords de libéralisation, les Accords de Partenariat Economique (APE). Ces accords qui servent avant tout les intérêts économiques de certains secteurs économiques et entreprises de l’UE, remettent largement en cause la possibilité pour les pays du Sud concernés de protéger leurs marchés intérieurs en faveur du développement de l’agriculture et de l’industrialisation. Ils se traduiraient par une baisse importante des ressources fiscales des Etats du fait de la diminution des droits de douane, rendant ainsi les pays encore plus dépendants de l’APD. A ce jour, plusieurs accords régionaux ont été signés (Afrique australe, Caraïbes, Pacifique). En Afrique de l’Ouest, l’APE régional est actuellement bloqué du fait du refus du Nigeria de le signer. L’UE a réussi à obtenir la signature d’APE dits intérimaires avec la Côte d’Ivoire et le Ghana, fragilisant ainsi l’ensemble du processus d’intégration régionale.

Alors que l’UE pousse les pays du Sud à ouvrir leurs marchés agricoles, elle continue quant à elle à pratiquer le dumping sur les marchés mondiaux au moyen de sa Politique Agricole Commune (PAC) dont les aides directes permettent aux produits européens d’être « compétitifs » sur ces marchés, alors que les prix ne couvrent pas les coûts de production des agriculteurs. Ceci, grâce à une invention confectionnée au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) dans les années 90, l’invention de la « boite verte » qui permet de regrouper certaines aides à l’agriculture, dont ces aides directes, sensées ne pas créer de « distorsions » sur les marchés mondiaux, et donc autorisées sans limite.

La politique énergétique de l’UE représente quant à elle une menace pour la sécurité alimentaire mondiale et la lutte contre le changement climatique. En effet, en favorisant l’incorporation d’agro-carburants dans les combustibles, elle détourne de leur usage alimentaire des millions d’hectares agricoles et favorise la déforestation. Cette dernière constitue une catastrophe planétaire, non seulement du point de vue du changement climatique mais aussi en termes de biodiversité et de gestion des ressources hydriques. La politique de l’UE favorise notamment les importations d’huile de palme, alors que la croissance des surfaces de palme est directement responsable de la déforestation en Asie du Sud-Est. Soulignons que les importations massives de soja du fait des choix faits par l’UE en matière de politiques agricole et commerciale sont également responsables de la déforestation en Amérique du Sud.

En fin de compte, pour que les pays européens contribuent au respect des droits humains fondamentaux, au développement économique et social et à la sauvegarde des écosystèmes dans les pays du Sud et à la protection des biens communs mondiaux, il importe non seulement de renforcer et de revoir les politiques de coopération, mais également de s’assurer d’une cohérence de l’ensemble des autres politiques avec ces objectifs. Ceci implique de rompre avec la nature néo-libérale de l’UE et à sa domination par les intérêts des multinationales et de la sphère financière.

 

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