Danièle Atala, co-rédactrive du livret culture de l’Avenir en commun rend hommage à Roger Tropéano, co-rédacteur du livret, disparu le 25 avril 2018 :
« Le 18 octobre 2016, il y a 30 mois, je rencontrais Roger pour la première fois. Désignés co-rapporteurs du livret culture pour la campagne présidentielle de la France insoumise, nous avions 120 jours pour l’écrire.
A quoi tient ce sentiment de le connaître depuis bien plus longtemps ?
Peut-être sa gentillesse, je dirais plutôt sa délicatesse qu’il savait conserver même dans les moments les plus tendus ? peut-être sa disponibilité, son écoute attentive ? peut-être sa manière bien à lui d’apprivoiser les difficultés ou la complexité ? peut-être son goût pour solliciter l’intelligence de l’autre ?
Avec Roger, constituer une équipe a été évident, simple, enthousiasmant. Il avait cet art subtil de faire travailler les uns avec les autres et de donner à chacun sa place. Rédiger le livret a été une expérience humaine et intellectuelle passionnante pour toute l’équipe culturelle.
La campagne présidentielle a été une aventure pour lui pour nous. Roger se sentait chez lui avec les insoumis, il le disait, ce mouvement, cette jeunesse, cette ambiance « la consigne c’est pas de consigne » ça lui plaisait, il y était heureux.
Ensemble nous avons fait campagne pour l’intérêt général, pour l’émancipation individuelle et collective, pour un avenir en commun. Nous avons poussé des portes, rencontré des acteurs des institutions, des organisations du milieu culturel, des artistes… avec Roger l’avenir meilleur servait de guide.
Roger aimait que nous ayons deux ou trois projets à court terme et autant à moyen ou long terme. Un peu comme des équations à résoudre posées par le professeur de math qu’il était.
C’est ainsi que nous avons pu organiser de nombreux évènements dont certains avec la présence de Jean-Luc Mélenchon à Paris, Angoulême, Clermont-Ferrand, Marseille et prochainement, Avignon comme il le souhaitait.
Comme nul autre il savait se faufiler, cibler les personnes qui comptent, son carnet d’adresse était la caverne d’Ali Baba. En situation il avait un centre de gravité de chat. Une diplomatie rusée et opiniâtre.
Il aimait nos apparitions en duo dans des lieux peu habitués au respect de la parité où nous n’étions pas forcément les bienvenus. Dans ces circonstances nous convenions d’un partage des rôles et des temps de parole, selon une sorte de rituel implicite : à lui, la gratuité, les droits des citoyens et des artistes, les moyens, à moi la place des arts et de la culture dans la société, l’éducation culturelle, l’enseignement artistique. Rien ne le mettait plus en joie que lorsqu’abordant ces thèmes et propositions nous étions applaudis, félicités ou encouragés.
Roger exerçait sur l’actualité une veille active : le livre, les bibliothèques, la francophonie, les dérives de financiarisation de l’art, l’audio-visuel… Toujours prêt à entamer la lutte pour l’intérêt général, nous étions récemment encore ensemble à défendre : les correcteurs, les archivistes, l’emblématique théâtre de la francophonie « le Tarmac », à écrire des tribunes sur les dérives françaises du mécénat.
Sa bataille : que les affaires de l’esprit l’emportent sur l’esprit des affaires.
Curieux, gourmand, preneur d’expériences nouvelles il aimait la création contemporaine sous toutes ses formes, fréquentait l’art sur tout le territoire. Rien ne lui plaisait tant que les rencontres avec les créateurs qui le faisaient entrer dans leur monde singulier et universel. Pour eux il était et je cite « un exemple de fidélité et de solidité aux idéaux de gauche, un homme bon, un ami ».
Oui, au-delà de l’homme de conviction dont je partageais l’essentiel, Roger était devenu pour ses qualités humaines, mon ami, mon frère, mon camarade, comme il est devenu l’ami indispensable des membres de l’équipe culture.
Il est rare de rencontrer des esprits à la fois pragmatiques, terriens et exigeants sur le plan des principes, du sens que l’on donne aux choses. Sa mort nous blesse parce que son esprit était profondément jeune et que nous avons terriblement besoin aujourd’hui d’hommes capable d’entendre ce que l’art a à nous dire.
Dans un de ses derniers messages il disait « j’ai hâte de vous retrouver tous à la fin du moi » il écrivait MOI comme un lapsus funeste mais aussi et comme l’interprète Charles, avec qui Roger avait une grande connivence : « retrouver ce qui est au-delà de soi ».
Alors Roger, comme tu nous l’indiques, dès mardi prochain, nous nous retrouverons tous au-delà de nos MOI, nous nous retrouverons NOUS, en pensant à TOI. »