Mesdames et messieurs les dĂ©putĂ©âeâs : A QUEL CHAPITRE DE LâHISTOIRE VOULEZ VOUS APPARTENIR ?
Souhaitez-vous avec ce projet de Loi Asile Immigration continuer Ă creuser un sillon macabre ou souhaitez-vous faire honneur Ă notre histoire et Ă notre peuple ?
Intervention de Discussion GĂ©nĂ©rale de DaniĂšle Obono Ă lâAssemblĂ©e nationale le 17/04/2018
Texte du discours :
A Mohamed Abdellah Hacem,
Pornan Traoré,
Adam Saleh Omar,
Sadio Cissogho,
Babacar Sall,
Younoussa Sow
qui Ă©coutez nos dĂ©bats en ce moment mĂȘme,
A vos compagnes et compagnons de route, dâexil et de luttes,
A vous tous et toutes, femmes, hommes, enfants,
Nos frĂšres et soeurs en humanitĂ©, qui avez traversĂ© tant dâĂ©preuves, tant de souffrances, tant de violences, Ă la recherche dâun refuge,
Je vous adresse, au nom de La France insoumise, nos sincĂšres et solidaires salutations.
Dans ce moment, nous nâoublions pas ces autres, tant dâautres, trop dâautres, qui ne seront pas parvenu·e·s au bout de leur terrible pĂ©riple Ă trouver lâaide et la protection Ă laquelle tout ĂȘtre humain a universellement droit.
Câest aussi leur mĂ©moire qui oblige aujourdâhui notre parole et nos actes Ă la plus grande humilitĂ©, Ă la plus grande dignitĂ© et au plus grand respect.
Madame la Présidente,
Monsieur le Ministre,
Mesdames et messieurs les dĂ©putĂ©âeâs,
Je voudrais vous adresser une simple question : Ă quel chapitre de lâhistoire voulez vous appartenir ?
Car lors de son discours devant la commission des lois, le ministre Collomb enchaĂźnĂ© les infamies et contre-vĂ©ritĂ©s pour justifier lâorganisation politique de la violence quâil appelle de ses vĆux. Il nous a expliquĂ©, dans un exercice apologĂ©tique dont la rhĂ©torique laisse pantoise, quâafin de ne pas voir lâextrĂȘme-droite arriver au pouvoir, il valait mieux faire le sale travail soi-mĂȘme. Le mot de « submersion » a notamment Ă©tĂ© employĂ©.
Avant-hier, le PrĂ©sident de la RĂ©publique a dĂ©fendu et repris Ă son compte ces propos, vocalisant de nouveau son obsession dangereuse pour le âventre des femmes africainesâ.
Votre majorité a ainsi ouvert les vannes des égouts dans lesquels se sont complaisamment engouffrés les faiseurs et faiseuses de haine, comme messieurs Larrivé et Ciotti nous en ont donné le lamentable exemple hier soir.
Cette petite musique lancinante de lâinvasion, de cette âvagueâ qui viendrait dĂ©ferler sur la France, relĂšve tout simplement, entre autres procĂ©dĂ©s nausĂ©abonds, de la manipulation politicienne. Permettez-moi donc de rappeler ici quelques faits.
PremiĂšrement, et contrairement aux idĂ©es reçues, il nây a pas eu dâaugmentation drastique des migrations mondiales au cours des derniĂšres dĂ©cennies. Elle ne reprĂ©sentent en moyenne quâautour de 3 % de la population mondiale.
DeuxiĂšmement, la majoritĂ© des migrations planĂ©taires sont inter-rĂ©gionales. Les Africains et Africaines, par exemple, pour ne citer quâelles et eux qui semblent tant vous obsĂ©der, dâune droite Ă lâautre, migrent avant tout en Afrique. Les 65,6 millions de personnes dĂ©racinĂ©es Ă travers le monde sont dâabord accueillies dans les pays limitrophes et le grand Sud : en Ăthiopie, en Ouganda, au Liban, au Pakistan, en Turquie⊠Seules 17% trouvent refuge en Europe.
Enfin, la migration est un fait intrinsĂšquement humain. Ce sont les causes des migrations forcĂ©es (politiques, Ă©conomiques, climatiques) qui posent aujourdâhui problĂšme, et non pas les personnes contraintes de quitter leurs familles, leurs pays, arrachĂ©es Ă toute leur vieâŠ
Mais plutĂŽt que de faire face intelligemment, de maniĂšre humaniste et raisonnĂ©e, Ă ces problĂšmes, votre projet de loi fait le choix de lâamalgame douteux et la brutalitĂ© technocratique. Lâamalgame en dĂ©cidant de mĂȘler dans un mĂȘme texte droit dâasile et politique migratoire, comme si le premier Ă©tait une variable dâajustement de la seconde. La brutalitĂ© par le rabotage de toutes les procĂ©dures qui sont garantes du respect des droits fondamentaux.
Il sâagit dâun projet de loi-matraque qui, face Ă une crise, non pas migratoire, mais de la politique dâaccueil des migrants et des migrantes en Europe, rĂ©pond par une politique de tri et de peur.
Dans cette course idĂ©ologique contra-factuelle, ce gouvernement nâest hĂ©las pas isolĂ©.
En France, depuis le dĂ©but des annĂ©es 1980, cette paranoĂŻa migratoire infuse peu Ă peu les discours politiques. Elle nous mĂšne au dĂ©bat dâaujourdâhui oĂč lâextrĂȘme-droite dĂ©cide des termes de la discussion et devient lâĂ©talon auquel on se jauge.
Cette dĂ©rive morale habite Ă©galement nombre de pays occidentaux : lâEurope forteresse du FPĂ en Autriche, de Viktor Orban en Hongrie, de lâAFD et de la CSU en Allemagne, de lâUKIP et de Theresa May en Grande-Bretagne, du PIS en Pologne, de Donald Trump aux Etats-Unis⊠Ce projet de loi sâancre dans cette vague-lĂ , qui formule la migration et donc les migrants et migrantes comme LE problĂšme.
Partout se banalise la maltraitance de personnes, quâon voit se noyer sur nos Ă©crans de tĂ©lĂ©vision, dâordinateur ou de tĂ©lĂ©phones portables, dont on voit les tentes lacĂ©rĂ©es et les corps rouĂ©s de coupsâŠ
Ces politiques entraĂźnent la mort de milliers de personnes : on en estime le nombre Ă 40 000 depuis les annĂ©es 90. Mais en rĂ©alitĂ©, on ne sait mĂȘme pas exactement le nombre de corps qui jonchent les fonds de la MĂ©diterranĂ©e ou sont enfouis sous les dunes des dĂ©serts du Sahel et du Sahara. On ne sait pas le nombre de familles qui comprennent, sans nouvelles depuis trop longtemps, quâelles ont perdu lâun ou lâune des leurs. On ne sait pas le coĂ»t humain exact de votre forteresse europĂ©enne. Mais on sait que jamais les migrations nâont Ă©tĂ© aussi meurtriĂšres.
Cette hĂ©catombe est la consĂ©quence des politiques qui ont cours depuis des dizaines dâannĂ©es. Ces lois qui empĂȘchent lâoctroi des visas et obligent les personnes Ă prendre des routes meurtriĂšres. Ces politiques qui externalisent les frontiĂšres dans des territoires comme la Libye ou la Turquie.
Elles en viennent mĂȘme Ă rĂ©glementer tous les liens intimes. Dans votre projet de loi, les liens de paternitĂ© sont remis en cause. Vous voulez allonger, sans aucun fondement rationnel, la durĂ©e de rĂ©tention. Au nom de lâordre public. Vous placez des enfants dans des centres de rĂ©tention. Au nom de lâordre public.
Au nom de lâordre public, vous laissez mourir.
Karim Ibrahim, rĂ©fugiĂ© de 31 ans, affligĂ© par les traumatismes, est mort sur une bouche dâaĂ©ration Porte de La Chapelle, Ă Paris, le 8 fĂ©vrier 2018.
Malik Nurulain, dit Nour, mineur isolé laissé sans le suivi psychologique dont il avait urgemment besoin, mort également à Paris le 14 février.
Beauty, dont on ne connaĂźt pas le nom de famille, enceinte, malade, qui souhaitait rejoindre sa soeur pour finir sa grossesse, et a refusĂ© de laisser son mari, reconduite en Italie par la gendarmerie française en pleine nuit, alors quâelle avait du mal Ă respirer du fait dâun lymphome, dĂ©cĂ©dĂ©e au mois de mars.
Votre projet de loi va creuser ce sillon macabre.
Cet aveuglement politique, qui nous mĂšne depuis 40 ans dans une voie sans issue, nâest pourtant pas sans alternatives.
Nous en formulerons un certain nombre lors de ce dĂ©bat, Ă partir des propositions de notre groupe âPour une politique migratoire humaniste, solidaire, raisonnĂ©e et rĂ©alisteâ :
- gestion migratoire concertĂ©e Ă lâĂ©chelle internationale et europĂ©enne ;
- suspension et renégociation des rÚglements de Dublin et des accords du Touquet ;
- accueil inconditionnel respectueux des droits des migrants et des migrantes ;
- création de nouveaux statuts de détresse climatique et humanitaire, pour répondre aux enjeux contemporains ;
- dépénalisation du séjour irrégulier ;
- régularisation, oui, des travailleurs et travailleuses sans papiers ;
- accĂšs de tous et toutes Ă lâapprentissage de notre langueâŠ
La France insoumise défend une politique raisonnée et réaliste parce que humaniste et solidaire. Une politique qui se base sur ce qui fait non seulement notre République mais plus profondément : ce qui fait société.
Notre pays est un mĂ©lange dâorigines diverses, qui en font la force et la richesse. Il perdure parce que nous choisissons de faire communautĂ©, politiquement, et dâavancer ensemble. Seul ce constat peut fonder une vĂ©ritable politique migratoire par et pour le peuple. Le reste, comme ce projet de loi, ne sont que des instrumentalisations dangereuses destinĂ©es Ă faire reculer les luttes communes contre les inĂ©galitĂ©s et les injustices.
Au fond, ce projet de loi, et câest peut-ĂȘtre philosophiquement sa plus grande inconsĂ©quence, fait bien peu honneur Ă lâhistoire de notre pays.
Celle dâun peuple qui en 1793 disait que « la rĂ©sistance Ă lâoppression est la consĂ©quence des autres Droits de lâhomme », qui en 1946 protĂ©geait les combattants et combattantes de la libertĂ©. Le peuple de Briançon, de Calais, de la Chapelle, ce peuple des plus de 470 associations qui sont vent debout contre votre projet de loi, Monsieur Collomb.
Ce peuple qui accueille celles et ceux que lâEtat laisse Ă la rue. Ce peuple qui nâest pas dupe de vos postures dĂ©magogiques parce quâil sait son humanitĂ© intimement liĂ©e Ă celle des autres.
Je conclus, mesdames et messieurs les dĂ©putĂ©âeâs, sur ces mots de la poĂ©tesse allemande May AYIM :
âJâirai
encore un pas plus loin
à la plus extérieure des périphéries
lĂ oĂč mes soeurs se trouvent et mes frĂšres sont debout
lĂ oĂč notre LIBERTĂ commence
je ferai encore un pas, toujours un pas de plus
et je mâen retournerai
quand je veux, si je veux
sans borne et sans honte.â
Et je vous repose donc cette ultime question, mesdames et messieurs les dĂ©putĂ©âeâs :
A QUEL CHAPITRE DE LâHISTOIRE VOULEZ VOUS APPARTENIR ?