Au ministre de la guerre Berthier qui lui disait que « les croix et les rubans sont les hochets de la monarchie », Napoléon rétorquait que « c’est avec les hochets qu’on mène les hommes ! ». Sous la monarchie présidentielle de la Vème République, on semble toujours s’attacher la loyauté des hommes et femmes par honneurs et distinctions symboliques. A l’instar de son prédécesseur, le chef de l’État Emmanuel Macron poursuit cette tradition.
Dernier exemple qui saute aux yeux et pose un réel problème démocratique : le 26 décembre dernier, un des membres du Conseil constitutionnel, Michel Charasse, a été nommé par le pouvoir exécutif (un arrêté du ministre Nicolas Hulot) au « Conseil d’orientation du Domaine de Chambord ». Quelle tâche fondamentale pour l’Etat retient donc ce juge de la Haute Cour ? Et bien, ce conseil réuni « une fois par an » est « consulté sur la politique culturelle, scientifique, forestière, cynégétique et commerciale de l’établissement et sur toute autre question qui lui est soumise par le président du conseil d’administration » d’après ses statuts légaux.
La ficelle est un peu grosse… alors que le Conseil constitutionnel est censé préserver l’équilibre des institutions de la République (en surveillant la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice), un de ses membres reçoit et accepte une belle fleur du pouvoir exécutif. Les membres du Conseil constitutionnel, qui sont des juges, n’ont-ils pas l’obligation et le devoir moral d’éviter tout ce qui remet en cause leur impartialité ? On se frotte les yeux pour y croire…
Le Conseil constitutionnel est souvent, et à raison, dénoncé comme une institution proche du pouvoir. Son président est Laurent Fabius, l’ancien ministre de Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls. Il comprend tous les anciens présidents de la République qui en sont membre de droit, auxquels s’ajoute Lionel Jospin. Et certains membres semblent plus motivés par les chasses présidentielles que par leur bureau de travail pour faire respecter la Constitution. Chacun ses priorités.
Comme l’oligarchie ressemble beaucoup à une fête où l’on retrouve toujours les mêmes têtes, il ne faut pas chercher bien loin, à savoir « avant » et « à côté » de Michel Charasse. Avant, son siège était occupé par Augustin de Romanet. Mais qui est donc ce personnage ? Pour ceux qui ne lisent pas les chroniques hebdomadaires sur les conflits d’intérêt, cet ancien haut fonctionnaire a d’abord garni son carnet d’adresses dans des cabinets ministériels sous la présidence Chirac, puis est parti pantoufler dans le privé, avant de prendre la tête de la Caisse des dépôts et Consignation (2007 à 2012) et d’Aéroports de Paris (poste qu’il occupe toujours aujourd’hui). A côté, les autres membres du Conseil d’orientation sont également savoureux : Michel Barnier (ancien ministre et commissaire européen, à présent en charge des négociations avec le Royaume-Uni sur le Brexit), Claude Bartolone (ancien président de l’Assemblée nationale), François Baroin (président de l’Association des maires de France), et les anciens ministres François Patriat (président du Groupe LREM au Sénat) et Marc Laffineur. La moitié appartient au PS, l’autre à LR. Au château de Chambord, on ressuscite la Cour !
Cette nomination s’apparente à de l’échange de bons procédés. Elle est un symptôme du mal profond de la cinquième République : l’État détourné par des intérêts privés. Il y a urgence démocratique à balayer l’oligarchie, abolir les privilèges de la caste et la monarchie présidentielle. Vivement la Constituante et la 6e République !