9000 cas d’effets indésirables et une plainte en justice contre deux ministres : tel est le bilan provisoire du scandale du Levothyrox. Le 10 novembre, l’avocate Me Anne-Catherine Colin-Chauley a en effet déposé des plaintes contre la ministre de la santé Agnès Buzyn et le ministre de l’économie Bruno Le Maire. Elle les accuse d’« abstention volontaire de porter assistance à une personne en péril », d’incurie dans la gestion de la crise sanitaire et d’abandon des patients cet été. Elle a également attaqué la multinationale pharmaceutique Merck, en charge de la production. De plus, elle a rassemblé plusieurs centaines de plaintes individuelles de patients. D’après l’avocat de la plainte collective, le laboratoire savait que « 3% à 5% des malades allaient déclencher des effets indésirables forts [soit] entre 150 000 et 180 000 personnes. »
En effet, la « crise du Levothyrox » a mis en lumière une nouvelle fois les insuffisances de la chaîne du médicament en France. Comme dans le cas du Mediator – mais avec des conséquences moins graves cette fois-ci – on constate des dysfonctionnements à chaque étape.
Le Levothyrox est un médicament prescrit pour les pathologies de la thyroïde. En 2012, l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) a demandé une révision du procédé de fabrication de ce médicament pour améliorer sa stabilité. Au printemps 2017, la nouvelle formule est introduite par le laboratoire Merck uniquement en France, premier marché pour le Levothyrox. En effet, la consommation de ce produit est significativement plus élevée en France que dans d’autres pays comparables, avec l’augmentation des pathologies détectées de la thyroïde.
Pour assurer cette mise sur le marché, le laboratoire a dû fournir des études de bioéquivalence qui ont été validées par l’ANSM. Les études demandées ont été suffisantes ? Aucune alerte sur d’éventuelles nécessités d’adaptation du traitement n’avaient été lancée. Une fois de plus, l’encadrement des procédures de mise sur le marché des produits de santé mérite d’être questionné.
La communication du changement de formule a ensuite été déléguée au laboratoire via un courrier adressé aux médecins prescripteurs, lesquels n’ont pas toujours informé leurs patients, voire n’ont pas toujours reçu le courrier ! Cette étape révèle une autre faiblesse de notre système, qui confie la diffusion des informations à l’acteur privé chargé de la fabrication du produit. L’intérêt commercial et le souci de transparence sont confiés à la même personne, ce qui mène régulièrement à des conflits d’intérêts ou à des économies sur la transparence au nom du commerce…
Dès l’introduction de la nouvelle formule, les premiers signalements d’effets indésirables sont apparus. Or leur traitement démontre, une fois de plus, la faiblesse de notre système de pharmacovigilance, dont l’objectif est de détecter les risques associés aux médicaments « en vie réelle ». C’est la capacité des centres régionaux de pharmacovigilance et de l’ANSM à détecter une difficulté qui est en cause. Cinq ans après le rapport Médiator rédigé par l’Inspection général des affaires sociales, qui avait déjà pointé les faiblesses dans ce domaine, l’insuffisance des moyens techniques et humains ainsi que l’insuffisance de la pharmacovigilance n’ont toujours pas disparu.
Enfin, si les autorités françaises ont obtenu la remise sur le marché des lots avec l’ancienne formule du Levothyrox, la pénible négociation, la lenteur du procédé et les faibles quantités délivrées montrent que notre souveraineté sanitaire est en péril. La loi actuelle et l’incapacité de la puissance publique à produire les médicaments les plus essentiels mettent les États dans une situation de dépendance vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique. Dans un marché mondialisé et dérégulé, ce sont les malades qui servent de variable d’ajustement : un sinistre dans une usine de fabrication, une élévation de la consommation dans un pays à population nombreuse, voire les représailles d’un laboratoire face à un pays qui envisagerait de baisser les tarifs des médicaments, et les armoires à pharmacie peuvent être vides du jour au lendemain, selon les priorités de l’industrie pharmaceutique ! Nous sommes dans la main des laboratoires.
C’est pour répondre à toutes ces difficultés révélées par le scandale du Levothyrox que la France Insoumise porte toujours l’exigence d’un pôle public du médicament. Seule la création d’un tel pôle permettrait à la France de renforcer les exigences en matière de mise sur le marché, d’assurer une indépendance de l’évaluation, de l’information et de la formation des professionnels, et de se doter d’une capacité à fabriquer des médicaments jugés essentiels.