Leur monde et le nôtre

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Étrange semaine qui vient de s’écouler. Car les révélations des Paradise Papers sont une chose. Le silence ouaté des dirigeants sur le sujet tandis que l’écoeurement populaire confine à la nausée en est une autre. Constater le hiatus, c’est regarder deux mondes que plus rien ne relie.

Si Jean-Luc Mélenchon et La France insoumise ont réagi dès les premières heures en mettant sur la table des propositions concrètes et immédiatement applicables pour couper court à l’évasion fiscale, ils furent bien seuls. Il ne s’est guère trouvé dans les sphères du pouvoir que le ministre de l’économie et des finances M. Le Maire, et le commissaire européen aux affaires économiques et à la fiscalité M. Moscovici, lui-même ancien ministre de l’économie et des finances de François Hollande, pour aborder le sujet. Mais l’indignation théâtrale du premier n’est pas crédible au regard de ses engagements passés et présents pour valoriser « l’optimisation fiscale » ; le maintien du verrou de Bercy durant l’été alors qu’il était ministre en est le dernier avatar en date. Le second quant à lui ne craint pas le grotesque lorsqu’il feint sur Twitter de découvrir le phénomène et son ampleur : « Les révélations sont vertigineuses. Le monde opaque de l’évasion fiscale apparaît soudain au grand jour. »

Sinon ? Rien ou si peu. M.Macron et son premier ministre ont été durant toute la semaine aux abonnés absents. Pendant ce temps, les révélations passaient et déjà la poussière retombe. Nike, Total, Bernard Arnault, Xavier Niel, Jean-Jacques Annaud et les autres ont mangé leur pain noir durant une semaine, ils peuvent retourner vaquer à leurs occupations.

Les détourneurs professionnels d’attention ont bien cherché à nous vendre que « l’optimisation fiscale » serait légale et poserait donc davantage un problème de morale. Méfions-nous tout d’abord, comme nous y invite le doyen du pôle financier du tribunal de Paris le juge Van Ruymbeke, que l’épisode ne soit pas utilisé pour entériner l’idée que « l’optimisation fiscale » relève automatiquement d’un caractère légal. Mais quand bien même ? Là où la morale est individuelle, les Paradise Papers ont donné à voir un phénomène systémique qui impacte donc la sphère de l’autorité politique. L’évasion fiscale organisée ne se contente pas de spolier la société toute entière. Elle fragilise la communauté des citoyens en remettant en cause le consentement du grand nombre à l’impôt dès lors que les premiers de cordée peuvent allègrement s’y soustraire, refusant en cela le contrat social, tout en recevant le satisfecit de l’Elysée. Par l’inertie et l’inaction et désormais le silence qu’ils manifestent, les exécutifs français et européens laissent dériver ce doute du consentement vers la représentation politique et donc vers le politique lui-même en tant que rapport aux affaires publiques.

Il y a aujourd’hui deux mondes qui marchent côte à côte, celui des premiers de cordée et le nôtre. Quant aux représentants, pour beaucoup –trop- d’entre eux, ils ont choisi d’être ceux des premiers de cordée, basculant avec eux dans le monde qui va avec.

François Cocq

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