Les étranges affaires d’Areva en Afrique : aux sources du scandale UraMin - Par Juan Branco

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Cet article a été publié par Juan Branco sur Le Monde Diplomatique.

Championne mondiale du nucléaire, Areva peine à sortir de la tourmente. Aux inquiétudes sur l’avenir de la filière depuis l’accident de Fukushima s’ajoutent les retards des réacteurs de troisième génération en Finlande et à Flamanville. Mais, surtout, l’entreprise publique française est mise en cause pour des investissements suspects dans trois gisements d’uranium africains.

Cest une fine rivière rouge sang qui traverse un empire de verdure. Cent trente-quatre kilomètres de piste oubliés de la modernité et du monde. Tracée en toute hâte il y a cinq ans par d’immenses machines, la route en latérite brûlante relie Bangassou à Bakouma, en République centrafricaine. Elle devait apporter la prospérité à tout le pays — l’un des plus pauvres du monde —, la fortune à ses travailleurs, et de l’énergie pour un siècle à la France. On lui avait promis qu’elle deviendrait l’aorte d’un Nouveau Monde, conçu en toute hâte entre l’Afrique du Sud, Toronto, Paris et les îles Vierges. Aujourd’hui dévorée par une végétation féroce et insatiable, criblée de crevasses, colonisée par les papillons et les fourmis rouges, elle ne nourrit plus que le silence — et l’un des plus grands scandales industriels du siècle naissant.

On accède à Bakouma depuis Bangui, la capitale. Après deux jours de voyage au milieu de la misère et des groupes armés, il faut encore passer quelques heures sur une motocyclette sujette aux pannes. Une chaussée toujours plus étroite, les branches, l’humidité et un soleil de plomb forcent en définitive à mettre pied à terre pour traverser les derniers fleuves, rivières et ruisseaux qui nourrissent la forêt vierge de la préfecture de Bangassou. Enfin apparaît un ensemble de cases faites de la même terre que le sol, aux toits couverts de branches sèches et aux intérieurs garnis de lits sans matelas. Un lieu sans odeur ni couleur particulière, que le soleil habite de 6 heures du matin à 6 heures du soir toute l’année ; un lieu dont l’autarcie est régulièrement rompue par un flot d’étranges pèlerins arrivant les yeux pleins de lucre et repartant toujours asséchés, repoussés par le poison doré qu’ils recherchaient. Un lieu encerclé par un minerai qui avait promis à l’Occident l’éternité et qui prend chaque jour un peu plus la forme de son ultime malédiction : l’uranium. Ces cases abritent les secrets de l’effondrement du plus grand groupe nucléaire du monde : Areva.

Huit millions de dollars versés au Trésor centrafricain

En 2007, le groupe français avait racheté l’entreprise UraMin, détentrice depuis l’année précédente des droits miniers de Bakouma (voir « De promesses en abandon »). La « découverte » (lire « Une mine connue de longue date ») d’immenses gisements d’uranium dans l’est de la Centrafrique avait suscité de tels espoirs que le général François Bozizé, qui présidait alors aux destinées du pays, exigea d’Areva la construction d’une centrale nucléaire près d’un village où n’étaient encore arrivés ni l’eau potable, ni l’électricité, ni le téléphone. Les dirigeants du groupe préférèrent montrer les plans d’écoles, de stades et d’hôpitaux qu’ils s’apprêtaient — disaient-ils — à construire dans la région pour un montant qui aurait dû atteindre le milliard d’euros.

Assorti d’importants bonus financiers, l’accord signé le 10 août 2008 permit le décaissage un mois plus tard de 8 millions de dollars versés au Trésor centrafricain, en provenance des fonds spéciaux de l’entreprise française. Les voitures, avions et engins de construction géants envahirent peu après une capitale habituée au rythme précautionneux et engourdi des trafiquants de diamants. Un peu plus de cent employés furent recrutés à travers le pays, l’université de Bangui fut mobilisée pour former des géologues et des topographes. Le « général » lui-même se rendit en mars 2011 dans le petit village de Bakouma pour annoncer l’arrivée des temps glorieux.

L’étrange rêve qu’avait fait naître Areva a rapidement pris l’allure d’un des cauchemars habituels de la mondialisation. À Bakouma, les premiers salaires frôlaient à peine les 70 euros par mois, pour des journées de treize heures, sept jours par semaine, « sans pause déjeuner », précise M. Sylvain Ngueké, un ancien foreur : « Nous n’avions droit qu’à un jour de repos toutes les deux semaines, passé sur le site minier lui-même, sous une chaleur intense et soumis à ces rayonnements radioactifs permanents. » Le cadre centrafricain le mieux rémunéré, le directeur adjoint du site, touchait « 700 000 francs CFA [environ 1 050 euros] par mois », indique un autre ancien membre du personnel, qui lutte depuis trois ans à Bangui pour obtenir des indemnités de licenciement.

Huit ans et une guerre civile plus tard, M. Bozizé est parti en exil, le gisement de Bakouma a été abandonné, l’espérance de vie ne dépasse toujours pas 50 ans dans le pays et le produit intérieur brut par habitant, 350 dollars. Les routes, les hôpitaux et les écoles promis n’ont jamais été construits. Le ventre gonflé, des dizaines d’enfants souffrant de malnutrition sévère hantent les cases en terre cuite d’un village qui n’avait jamais connu la faim et qui vient de perdre son dernier médecin. L’électricité, l’eau potable et le réseau téléphonique, qui y avaient brièvement fait leur apparition, ont complètement disparu.

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