La guerre des fous et des flous

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Cet été des assassins est-il définitivement fini ? On ne sait plus. Après les meurtres de Nice et de Saint-Étienne-du-Rouvray, la confusion de la parole publique donnait un flot de surenchères permanentes à donner le vertige. La sidération devant les morts et le dégoût pour les meurtriers le disputaient à la lassitude de ne pouvoir reprendre pied en soi dans la succession violente des évènements. On respira quelques jours. Puis vint la décision d’annuler la braderie de Lille. Je crois que tout le monde comprend cette décision et aussi ce qu’il en a coûté de déchirements à ceux qui ont dû la prendre. Je n’ai pas l’intention de la critiquer. Mais je m’en tiens à ce qu’elle signifie : une défaite. L’État n’est pas en mesure de maintenir une activité populaire traditionnelle. Je crains ce qui va arriver quand il va être question de campagne électorale.

Mon avis est que souvent, ceux qui parlent à tout propos de « guerre » se paient de mots. Ils parlent fort et avec bien des poses. Puis ils passent à autre chose. Car s’ils assumaient vraiment l’état de guerre, donneraient-ils à l’ennemi de si faciles victoires ? L’ignominie du meurtre de Nice ne se suffisait elle pas à elle-même ? Qu’a-t-on gagné à l’attribuer à Daesch ? Et au terrorisme islamiste ? Pourquoi avoir repeint en « radicalisé » un dément qui attaque avec un camion entouré d’armes en plastique, quelqu’un qui ne faisait pas le ramadan une semaine plus tôt, se prostituait, se droguait et se rendait coupable de toutes sortes d’odieuses violences ?

En Angleterre ou en Allemagne, les autorités ne se sont pas laissées embarquer comme Hollande ou Valls sous la pression des ultras du pays. Elles ont attendu de savoir exactement qui étaient les auteurs du crime. Mais chez nous, il y a dorénavant une meute déchaînée qui, au premier coup de fusil, crie ses slogans au point de couvrir les cris des victimes. Sans aucun sang-froid, sans attendre une confirmation, sans savoir, ils déversent dans les réseaux sociaux des flots de bile haineuse sur tout le monde. J’ai observé une fois de plus le phénomène la nuit des meurtres à Nice. On ne savait rien de sûr. J’ai fait ce que je crois utile dans de telles circonstances. C’est-à-dire mettre en mots ce que chacun ressent au plan humain pour faciliter, chez ceux qui en ont besoin, l’absorption du choc.

Il me semble que c’est là le premier devoir de qui porte une parole publique. Les uns sont sur le terrain et secourent les blessés, les autres font leur devoir auprès des millions de personnes traumatisées par la scène. Le premier devoir est donc entièrement dédié à l’humain. D’une façon générale, je refuse de faire des diagnostics politiques à chaud sans autre considération pour le choc de ceux qui subissent la mort et la souffrance dans leur chair ou dans celle des leurs. De même, je crois utile de respecter le deuil national et de s’abstenir pendant cette période de polémiques.

Mais en pleine nuit, alors même qu’on ne savait rien, la meute se déchaînait. Éperonnée par les images « en continu »  qui invitaient à laper le sang des victimes sur le trottoir, la meute accusait de « déni » quiconque ne maudissait pas en boucle l’islam. J’ai l’habitude de ces sortes de récupérations hideuses. Mais cette fois-ci, ma tristesse fut plus forte que d’habitude. Et cela du fait même de l’énormité du meurtre. Car je comprenais la rage de ceux qui écrivaient en admettant qu’ils croient vraiment ce qu’ils disent et que tout cela ne soit pas un prétexte à exhaler leurs phobies ordinaires. Mais je voyais le mal que nous nous faisions à l’heure de la lutte.

Car c’est une lutte, une « guerre », même, disent-ils ! Alors les postes de combat ne doivent pas être désertés à chaque choc. Aux juges, à la police et à l’armée leur travail. À nous, le nôtre. Le nôtre est d’empêcher la victoire morale ou psychologique de l’ennemi. Lui attribuer des victoires, appliquer la mentalité et les méthodes du « tous suspects », c’est faire le jeu de l’adversaire. Du coup quand est arrivé le véritable crime politico-religieux à Saint-Étienne-du-Rouvray, directement lié à la guerre et en vue d’en étendre le champ de bataille, je juge que la signification et les conséquences n’ont pas été correctement tirées. Le meurtre de Saint-Étienne-du-Rouvray vise ouvertement à créer un mécanisme de guerre de religion et à enclencher une logique de représailles. Que l’assassin soit fiché S, retour de Syrie et remis en liberté est consternant.

Quel chaos ! C’est ça la « guerre » que mènent les forts en mots ?  Le gouvernement parait en fait totalement dépassé par la situation. On ne voit pas sa stratégie de lutte. Il est donc hors d’état de mobiliser l’opinion. Au contraire. Ses errements fortifient le chacun pour soi et les inventeurs de remèdes miracles de toutes sortes peuvent se déchaîner ! Le comble arrive quand une nouvelle fois est ramenée sur la table la ridicule question de « l’islam de France » et cette fois ci avec un projet de Concordat. Nouvelle victoire sans combat de l’ennemi. Car en quoi ces questions sont-elles liées ? Quelle mosquée fréquentait le dégénéré de Nice ? Et si jamais il en fréquentait, peut-on établir un lien avec son acte criminel ? Et le rapatrié de Syrie de Saint-Étienne-du-Rouvray, c’est sa mosquée ou bien son retour de Syrie le facteur le plus pertinent pour expliquer son comportement et parer les coups à venir ? Et ensuite ? La guerre, la vraie sur le terrain ?

Rien, pas un mot ni une analyse permettant de voir une stratégie gouvernementale française se dessiner. Toujours les mêmes contes à dormir debout sur les bombardements contre des méchants qui ne sont vaincus sur le terrain que par les Kurdes et les Russes. Et le même imbroglio d’alliances contre nature et de retournements de situation sans un mot de commentaire. Les « rebelles modérés » que soutiennent les « gentils-alliés » utilisent des gaz dans leur lutte contre Le gouvernement de Bachar el-Assad pourtant hier accusé par les mêmes d’utiliser lesdits gaz ! La Turquie connaît un coup d’État, arrête par milliers les opposants et se prépare à une guerre sans pitié contre les Kurdes, pourtant en première ligne contre Daech ! Et la comédie continue sous nos yeux. Le journal Le Monde montre comment le cimentier Lafarge a financé Daesch. Conséquence : aucune ! Mieux : le cimentier sponsorise l’opération « Paris plage ». Seule ma camarade Danielle Simonnet condamne et proteste à la mairie de Paris. Décidément bien seule ! De deux choses l’une : ou bien cette guerre n’existe pas autrement que comme un alibi, un prétexte ou un emballage pour d’obscurs objectifs de politique intérieure ou bien ceux qui la mènent sont absolument des incapables qui n’ont jamais lu un livre d’histoire de la guerre de leur vie.

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