Motion de rejet défendue par Michel Larive sur la proposition de loi créant la fonction de directeur d’école.
« Depuis 12h30 sur la place Edouard Herriot et depuis 14h30 devant le Ministère de l’Education nationale, sont rassemblés des syndicats de l’éducation nationale et les collectifs « Educ en colère », « Stylos Rouges », « Touche pas à ma ZEP » et bien d’autres. Ils réclament le retrait de votre proposition de loi créant la fonction de directeur d’école. Ils portent aussi d’autres revendications. Parmi celle-ci, on peut trouver la dénonciation du mépris qu’ils ressentent, provenant du ministre de l’éducation nationale depuis la loi dite « pour une école de la confiance ». Dernièrement encore, par sa voix et ses relais dans la presse nationale, le ministre stigmatisait les enseignants, qu’il taxait de décrocheurs, pendant la crise du Covid 19. Bien sur la réalité est toute autre, les professeurs des écoles, les instituteurs et institutrices et tous les autres enseignants et enseignantes, ont fait preuve d’un remarquable professionnalisme dans le respect de leur vocation qui est celle d’enseigner, lors de cette crise. Ils ont fait montre d’une créativité à toute épreuve pour pallier aux carences de leur tutelle. Ils ont finalement assuré la continuité éducative malgré les épreuves et le lourd tribu qu’ils ont eu, eux aussi à payer. Pour tout cela, je les remercie vivement au nom d’un représentant de la nation reconnaissant. Il aurait été préférable notamment d’être au rendez-vous de vos annonces précipitées, et livrer les protocoles sanitaires de la rentrée du 22 juin en temps et en heures pour que tous les acteurs de la communauté éducative puissent se préparer en toute sérénité. Au lieu cela, Le décret détaillant le protocole sanitaire à mettre en place dans nos écoles à été publié le matin du 22 juin, jour de la rentrée élargie. Comprenez chers collègues, l’état d’esprit dans lequel se trouvent les enseignants français qui se demandent s’il y a un pilote dans le vaisseau amiral de l’éducation nationale. Avec la mise en place du dispositif 2s2c, nous avons quelques éléments de réponses. Ici comme dans tous les autres services publics, l’état se défausse sur les collectivités territoriales ou délègue a la sphère privée les attributions qui lui sont dévolues. Enfin, depuis plus de dix années, le point d’indice des fonctionnaires de l’éducation nationale n’a pas évolué positivement, au regard de l’inflation. Pourtant, eux aussi faisaient partie des premiers de corvées, de celles ceux qui ont affronté la pandémie en première ligne, de celles et ceux qui assuré la continuité du fonctionnement de notre vie commune. Ils doivent eux aussi percevoir les fruits de notre considération. Ils doivent pouvoir bénéficier enfin d’une revalorisation de leurs rémunérations.
Vous avez décidé, dans la continuité de vos prédécesseurs, de calquer le fonctionnement des entités privées sur celui de nos services publics. Un service public quel qu’il soit n’a pas pour vocation d’être rentable, mais de se trouver tout simplement au service de la population. Sa seule valeur ajoutée, c’est le bien être des usagers et des fonctionnaires qui le déploie.
Si on votait aujourd’hui la proposition de loi de Madame RILHAC visant à créer la fonction de directeur d’école, ce sont des postes de managers des écoles que nous créerions. Tous les syndicats ont manifesté leur opposition à la création d’un tel statut de directeur d’école, qu’il soit officiel ou déguisé en « emploi fonctionnel ». La situation des directeurs d’école est suffisamment difficile pour que, nous, législateurs, ne prenions pas des décisions en contradictions avec leurs aspirations.
Ces personnels sont aujourd’hui confrontés à une surcharge croissante de travail. Les tâches administratives s’alourdissent d’années en années, alors que les temps de décharges de classe stagnent ou baissent. Cette situation mène à des pathologies professionnelles de plus en plus fréquentes. Comment parler de ce fléau sans citer Christine RENON, cette directrice d’école qui s ‘est donné la mort le 24 septembre 2019, dans son école, laissant une lettre à ses collègues et à l’inspection académique ? Elle nous a alarmé sur le « sort réservé à tous les directeurs », mettant en avant « les fermetures de classe, les tâches administratives, les incessantes injonctions, le temps de travail, le manque de matériel, le manque de soutien et de protection de l’institution ».
La crise sanitaire a mis une nouvelle fois les directeurs d’école à rude épreuve. La mise en œuvre du protocole sanitaire, les informations contradictoires sur la présence obligatoire des enseignants et les déclarations toutes aussi contradictoires du Ministre de l’Éducation Nationale dans les médias, ont été sources d’angoisse pour le personnel. C’est pour toutes ces raisons que les premiers concernés vous demandent de renoncer et de retirer votre proposition de loi.
Votre volonté d’instituer un statut de directeur d’école n’est pas nouvelle. C’est une volonté ancienne du Ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel BLANQUER et vous l’aviez proposé lors d’un rapport en août 2018. Déjà, l’opposition à la création d’un tel statut s’était exprimée fermement dans les rangs syndicaux. Le Ministère de l’éducation nationale a consulté les directeurs d’école sur cette même question et recueilli plus de 29000 réponses en novembre 2019. Mais les directeurs ont une nouvelle fois exprimé leur opposition, puisque seulement 11 % d’entre eux s’y sont dit favorables. Je répète ce que j’ai dit en commission, ce texte vous permet de revenir à la charge grâce à une pirouette sémantique, pour ne pas déclarer un « statut », et le transformer en une « fonction » de directeur d’école.
Dans les faits, cela revient au même ! Le directeur d’école devient « délégataire de l’autorité académique ». Il sera donc un « manager » dans son école. Le décret de 1989 instaure que le directeur « représente l’institution auprès de la commune et des autres collectivités territoriales ». Cette disposition nous parait bien suffisante. Si les débats en commission ont permis d’inscrire dans le texte que le directeur n’est pas le supérieur hiérarchique de ses collègues, vous lui permettez tout de même de prendre des décisions pour le fonctionnement de l’école, sans l’avis du conseil des maîtres. La version du texte issue de la commission renforce même le rôle décisionnaire du directeur. Il est désormais inscrit que le directeur « peut prendre les décisions nécessaires liées aux responsabilités relatives au fonctionnement de l’école ». Le conseil des maîtres n’est donc plus du tout mentionné et le fonctionnement collégial de l’école primaire est supprimé. Or, nous affirmons que pour le bon fonctionnement de l’école, il n’est pas nécessaire que leur directeur soit décisionnaire. L’école primaire se distingue par un fonctionnement démocratique : le conseil des maîtres, qui réunit l’ensemble des maîtres affectés à l’école, des maîtres remplaçants exerçant dans l’école et des membres du réseau d’aides spécialisées, quand ces derniers n’ont pas été supprimés suite au manque de postes dans le premier degré. Les décisions sont prises par l’ensemble de l’équipe. Le conseil d ‘école, lui aussi, fonctionne démocratiquement. Il réunit, en plus du corps enseignant, les représentants élus des parents d’élèves, le maire, un conseiller municipal et le délégué départemental de l’éducation chargé de visiter l’école. L’inspecteur de l’Éducation Nationale de la circonscription assiste de droit aux réunions. Ce système démocratique et de travail collectif fonctionne bien et il en a fait la preuve lors du confinement. Le ministre de l’Éducation Nationale s’est même félicité de la continuité pédagogique organisée par les enseignants et leur mobilisation.
Cette réussite est due au fonctionnement horizontal de l’école que vous souhaitez désorganiser. Un exemple éclairant : le directeur d’école participe désormais « à l’encadrement du système éducatif ». Or, aujourd’hui les personnels d’encadrement du système éducatif français sont les personnels de direction de l’Éducation Nationale, les personnels d’inspection et les personnels d’encadrement administratif. Le directeur d’école ne correspond à aucune de ces catégories. Il n’est pas un cadre supérieur. Il n’est pas chargé d’inspection. Il ne travaille pas non plus au sein de l’administration. En instaurant cette mesure, vous assimilez les directeurs d’école à des personnels de direction de l’Éducation Nationale, c’est-à-dire aux chefs d’établissement du second degré. Comme le dénonce de nombreux syndicats, cela dessine « une école verticale » dont nous ne voulons pas.
Tous ces éléments démontrent que le directeur-manager de demain sera bien un fonctionnaire avec un statut particulier. L’accès à ce statut pose au moins deux autres problèmes liés à la nomination et à la rémunération du directeur d’école :
- Votre proposition prévoit que le directeur soit nommé par l’inspecteur académique. Actuellement, le directeur est inscrit sur la liste d’aptitude après avis de la commission administrative paritaire départementale. Ensuite, le directeur est affecté en fonction d’un nombre de points cumulés pendant sa carrière. Un directeur peut se voir retirer son emploi, toujours après avis de la commission administrative paritaire départementale. Ce fonctionnement garantit une relative transparence dans l’attribution des postes, avec le contrôle des syndicats. Vous avez affirmé en commission, Madame la rapporteure, que ce mode de recrutement serait conservé, mais vous avez refusé de l’inscrire dans la loi. Nous pouvons donc craindre que la fonction de directeur soit retirée selon le bon vouloir de l’inspection académique. C’est un moyen de pression inacceptable contre les directeurs. Si notre motion de rejet n’est pas adoptée, nous reformulerons cette proposition, soutenue par les syndicats, par voie d’amendements.
- Les mesures liées à la rémunération des directeurs d’école font également objet de critiques de la part des syndicats. En créant un régime spécifique de rémunération, vous créez, de fait, un corps séparé des enseignants. Cela n’est pas nécessaire pour augmenter la rémunération des directeurs d’école. Actuellement, tous les directeurs bénéficient de 8 points de « nouvelle bonification indiciaire » et de « points de bonification indiciaire », en fonction de la taille de l’école. Ils perçoivent également une « indemnité de sujétion spéciale pour la direction ». Elle se compose d’une part principale commune à toutes les écoles et d’une part variable liée à la taille de l’école. Au total, les directeurs perçoivent une rémunération mensuelle brute supplémentaire de 200 à 400€. Dans l’exposé des motifs, une augmentation de l’indemnité de direction de 150 à 300 € bruts par mois est proposée. C’est bien en dessous des revendications des directeurs d’école ! Je précise que dans une note consacrée à la France en 2019, publiée dans Regards sur l’éducation, l’OCDE note la faiblesse des salaires des directeurs d’école et chefs d’établissement. A l’école élémentaire, le salaire des directeurs en France est 15% inférieur à la moyenne de l’OCDE. Avec cette proposition, vous ne répondez pas au problème dans son ensemble. Une bonification indiciaire, plus généreuse, qui serait prise en compte dans le calcul des retraites actuelles, nous paraîtrait plus judicieuse.
Lorsque vous présentez votre texte, vous insistez sur les décharges qu’il prévoit. Obtenir davantage de décharges fait écho à d’anciennes revendications des personnels de direction. Mais une fois encore, les dispositions de votre loi ne permettent pas de répondre efficacement à la demande des directeurs. Lors de la consultation des directeurs d’école organisée par le Ministère de l’Éducation Nationale en novembre 2019, les directeurs déclarent que le fonctionnement administratif est la tâche à laquelle ils passent le plus de temps. C’est aussi l’une des deux tâches les plus pénibles avec la sécurité, et ce sont ces 2 tâches pour lesquelles ils demandent le plus de soutien alors que ce n’est pas, selon eux, le cœur de leur métier. Les directeurs d’école souhaitent se concentrer sur « le suivi collectif des élèves, le travail en équipe et l’élaboration des dispositifs d’aide », pour 83 % d’entre eux. Or, ce n’est pas ce qui est proposé ici. Au contraire, la décharge de classe est suivie de l’introduction de missions nouvelles pour les directeurs. Certaines missions sont parfois même extérieures au fonctionnement de l’école comme celles concernant la formation. Des missions de coordination de Pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL), Réseau d’éducation prioritaire (REP), Réseau d’éducation prioritaire renforcé (REPR), regroupement pédagogique intercommunal (RPI) leurs sont confiées alors qu’elles relèvent d’autres personnels de l’Éducation Nationale. L’inspecteur de l’éducation national, l’enseignant référent à la scolarisation des élèves handicapés ou encore le coordinateur REP en sont normalement chargés. Finalement, en échange d’une décharge totale de classe, les directeurs verront leur charge de travail s’alourdir considérablement et d’autres personnels seront privés de leurs missions.
Cette proposition de loi va à l’encontre des demandes des professionnels du secteur. Cette ineptie aura également pour effet d’aggraver considérablement les inégalités territoriales ! Effectivement, la décharge complète d’enseignement pour les directeurs d’école ne s’appliquera que dans les établissements comptant au minimum 8 classes. Il n’y aura donc aucune décharge pour les plus petites structures. Je vous informe que moins de 10 % des écoles de l’Ariège sont concernées, comme c’est le cas dans beaucoup d’autres départements à la démographie et la sociologie similaires. Sur tout le territoire national, ce sont 75% des écoles qui se trouvent exclues de votre dispositif. Vous souhaitez encourager les détachements de personnels, notamment administratifs, des communes vers les établissements scolaires. Je vous informe, là aussi, que les écoles rurales sont souvent situées dans des communes qui rencontrent d’importantes difficultés. Elles n’ont absolument pas la possibilité, ni financière, ni physique de cette délégation, tout simplement parce qu’elles ne disposent même pas de personnel administratif suffisant pour leur propre fonctionnement et bien sûr, encore moins de concierge. Et cela s’aggrave d’année en année, avec la politique de baisse des dotations que ce Gouvernement a enclenché dès son arrivée au pouvoir. Ici comme dans d’autres aspects de votre proposition de loi, vous avez pris pour modèle éducatif, la ville de Paris. Madame la rapporteure si 90 % des communes de notre pays avait 10 % des moyens financiers, structurels et humains de la ville de Paris, l’école de la république se porterait bien mieux. Il ne s’agit pas ici d’opposer la ville lumière, notre superbe capitale, au reste du pays, mais de vous signifier qu’il existe une vie au-delà du périphérique parisien et par extension au-delà des périphériques des métropoles françaises ! J’ajouterai, à l’instar de mes interventions en commission, qu’il est hypocrite de demander aux communes de fournir du personnel aux écoles alors que l’emploi public territorial a été réduit et que l’organisation des services de ces collectivités a été fragilisé par la suppression de plus de 200.000 contrats aidés décidée par ce Gouvernement. Il aurait fallu les titulariser. Plutôt que de simplement embaucher des agents administratifs et des concierges, comme les directeurs d’école vous le demandent, vous continuez donc dans cette même politique infructueuse du désengagement de l’État, en faisant peser les charges de personnels qui lui sont normalement dévolues, sur les collectivités territoriales. Votre texte, profondément inégalitaire, a sûrement dû être concocté dans les cercles remarquablement éveillés de l’expertocratie des métropoles éclairées. Mais cela ne justifie pas que la majeure partie du territoire français soit ainsi mise au banc de l’égalité républicaine. Cela contribue d’ailleurs au rejet massif de votre proposition de loi par les directeurs d’école et les personnels de l’éducation nationale, en général.
Chers collègues, vous nous soumettez un texte lacunaire et inutile, qui aggravera la facture entre nos territoires par les inégalités qu’il créera. Les premiers concernés sont venus exprimé leur vive opposition à quelques mètres d’ici il y a à peine quelques heures. Votons cette motion de rejet, montrons aux directeurs d’école que les représentants de la nation sont capables de les entendre. »