Consultation populaire sur le droit à l’alimentation avec Dominique Paturel

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Retrouvez ci-dessous le compte-rendu de l’entretien réalisé par le groupe thématique pauvreté de la France sur le droit à l’alimentation avec Dominique Paturel.

Dominique Paturel est chercheuse à l’INRAE et à l’EMR Agro Montpellier et travaille sur le sujet de l’alimentation à partir des systèmes de production. Son passé d’assistante sociale lui permet de porter un regard sur ces questions par le prisme du bien commun et de la solidarité.

Elle est aussi membre d’un collectif pour la démocratie alimentaire.

Sa réflexion prend ses racines dans l’analyse des causes de la pauvreté à partir des politiques sociales telles qu’elles sont mises en place en France dans les années 1980.

Inadéquation des dispositifs actuels aux problématiques sociales, environnementale et politiques

Les pouvoirs publics n’entendent que la consolidation des dispositifs actuels de l’aide alimentaire. On présuppose que les personnes pauvres ont besoin d’être assistées pour accéder à l’alimentation ainsi que dans les différentes tâches pour se nourrir : faire les courses, faire la cuisine, etc.

L’aide alimentaire est une filière appuyée sur le système productiviste (sous forme des centrales d’achat ou des plateformes de logistiques), soutenues par un système d’aides publiques et de dons. L’aide alimentaire permet de trouver une façon d’écouler les produits en surplus. Une des quatre voies anti-gaspi de la loi Garrot de 2016 oblige les grandes surfaces à passer convention de donner leurs invendus alimentaires et permet de les défiscaliser : on renvoie le surplus de l’anti-gaspi aux pauvres. Depuis octobre 2019, cette obligation est étendue à la restauration collective et aux industries agro-alimentaires.

C’est ce système qui sert de modèle au programme d’aide alimentaire de l’Union Européenne mis en place en 1987. L’Allemagne a contesté en 2008, le financement de l’aide alimentaire dans le cadre de la Politique agricole commune (PAC) ; en 2011, le Tribunal européen lui a donné raison sur le fait que le financement devait être dans le Fond social européen. Les émeutes de la fin de 2008 vont accélérer la médiatisation de ce phénomène et renforcer le besoin de soutien de l’aide alimentaire. Ces logiques sont liées à une vision industrielle de l’accès à l’alimentation.

Aujourd’hui, 5,5 millions de personnes avant le premier confinement, nombre désormais certainement estimé à 8,5 millions, bénéficient de l’aide alimentaire (par les opérateurs de l’aide alimentaire) en France.

L’impensé politique est de baser le système sur la grande précarité, or cela concerne environ 700 à 800 000 personnes. Pour celles-ci, oui l’assistance alimentaire se pose. Mais elle rejoint aussi celle de la dignité. Pour le reste de la population, il n’est pas justifié de faire une distribution de produits alimentaires. D’autres solutions existent.

En 2013, une conférence propose de passer “du droit à être nourri au droit à l’alimentation”. Le point de blocage vient de l’État français qui ne résout le problème du droit à l’alimentation que par l’aide alimentaire.

La notion de “droit à l’alimentation” est aujourd’hui reprise : elle est nichée dans les droits humains. Dans les pays dits du “Nord”, elle est considérée comme un droit inférieur à celui de la santé (lui inscrit dans la constitution). Il ne recouvre pas de contraintes juridiques. Le problème majeur est celui du statut des produits alimentaires. Ce droit est considéré comme inférieur ou subordonné au droit à la santé.

Re-questionner le statut de l’alimentation implique d’interroger les conditions de la production, des PME dans la transformation et la distribution de la nourriture et de qui a le droit de consommer de l’alimentation durable.

La crise sanitaire a pointé les écueils d’une gestion humanitaire de la problématique alimentaire

Les institutions publiques ont été incapables de gérer le sujet.

On a vu le déploiement de :

  • mobilisation de citoyen·nes,
  • mobilisation de collectifs politiques

Durant le premier mois de confinement, les opérateurs habituels d’une part et les services publics d’autre part ont mis du temps à trouver une organisation. Il est important de déterminer “alimentation comme moyen” ou “alimentation comme objectif”.

  • Alimentation comme moyen : vision de l’État qui justifie assistance alimentaire.
  • Alimentation comme objectif : pose la question du système.

La recherche publique a pourtant permis d’avancer sur le sujet pour éviter ces travers. Aujourd’hui, il y a un fort intérêt à articuler les alliances avec la recherche publique qui doit être au service de solutions à ces questions.

Nous sommes dans une période de privatisation forte aujourd’hui sur l’accès à l’alimentation, par l’ESS, les groupements de citoyen·nes, etc. qui s’approprient l’accès à des ressources locales sans les partager (groupements d’achat - AMAP accaparant des maraîchers où il y en a peu, villes s’appropriant toutes les ressources pour leurs cantines).

La question de la régulation est centrale. Il faut éviter l’écueil d’une relocalisation qui se referme sur elle-même.

Question légitime : travailler à un revenu correct pour tou·tes.

Il faut prendre du recul sur les dispositifs existant : par qui est portée la solidarité ? Par l’État via l’aide alimentaire ? Par les producteurs qui ont déjà peu de moyens ? Par des citoyen·nes bénévoles ?

Poser la question de l’alimentation comme besoin lié à la vie permet de répondre en termes de droits associés aux personnes et de développer des lois donnant des réponses à la question de ce droit. Et on doit choisir la sécurité sociale de l’alimentation est une piste de réponse.

La sécurité sociale de l’alimentation et la démocratie alimentaire

L’alimentation est aujourd’hui enfouie dans une impression de démocratie du consommateur qui peut acheter ce qu’il veut. L’alimentation est un marqueur social important, venant dire des choses sur les rapports de classe.

Il existe un discours moral, souvent justifié par les messages nutritionnels, en direction des populations habitant les quartiers populaires sur ce qu’il faut manger ou pas. Il faut avoir conscience que la nutrition et l’alimentation ont été utilisées dans le contrôle social des pauvres (ex : le patronat finançant les cantines).

Droit à l’eau, DALO… Autant de droits dont on pourrait s’inspirer pour l’alimentation reposant sur un accès universel à une alimentation durable.

Il est difficile de faire comprendre que l’objectif n’est pas un panier identique pour tout le monde, ce droit doit pourtant prendre en compte les différents besoins des groupes sociaux et les réponses territoriales. Ce droit doit intégrer une vision plus horizontale.

C’est pour ça que la sécurité sociale est une forme intéressante. Elle rend possible le fait d’avoir une caisse de sécurité sociale de l’alimentation et des caisses de gestion à l’échelle des territoires de vie, pour adapter les réponses (supermarchés coopératif, groupements d’achat). En outre, ces caisses devront conventionner les acteurs et actrices du système alimentaire (production, transformation, distribution et consommation) dans une perspective de juste rémunération.

La proposition d’une allocation alimentaire, sur le modèle des allocations familiales, permettrait d’aller au maximum vers un dispositif de droit commun. Il faut la réfléchir comme une étape de transition pour aller vers la transformation : au départ, l’allocation serait donnée pour acheter n’importe quels produits, puis serait peu à peu orientée vers certains types de produits (produits frais, circuits courts, et en garder une partie pour l’alimentation industrielle par exemple). La fonction de cette allocation permettrait de faire bouger l’offre alimentaire et de participer à l’évolution des régimes alimentaires dans la perspective de la lutte contre le changement climatique.

Il s’agit de mettre tous les outils de politiques publiques au service de la sécurité sociale de l’alimentation :

  • les agriculteurs·rices pourraient être rémunéré·es comme le sont les médecins actuellement,
  • pour les acteurs de la transformation alimentaire, la sécurité sociale de l’alimentation serait une aide à la relocalisation,
  • les artisans de l’alimentation.

Dans ce contexte, il n’est pas possible de se désintéresser de l’UE : une montée en puissance d’une politique alimentaire à l’échelle européenne est vitale. Il faut pour cela un positionnement engagé des formations politiques.

La création d’une sécurité sociale de l’alimentation nécessite :

  • une loi qui l’institue,
  • un financement clair (cotisation, etc),
  • une gouvernance démocratique.

Tout le monde doit pouvoir décider.

L’alimentation est désormais un projet politique. Il faut maintenant faire le travail de rapports de force, socialiser les connaissances et la compréhension de la vision systémique de l’aide alimentaire. Le droit à l’alimentation doit être posé correctement, pas juste autour de la question de la dignité.

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