Réprimer les « fake news » ? Une menace pour nos libertés, une liberté pour les vraies menaces

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macron fake news

Par Zélie Cauquil, fonctionnaire d’État ; Anne Morcos, haute fonctionnaire ; Arnaud Apffel, juriste, collaborateur du groupe France Insoumise à l’Assemblée nationale ; Hadrien Toucel, responsable du secteur Arguments de la France insoumise

« Le ministère de la Vérité – Miniver, en novlangue – frappait par sa différence avec les objets environnants. C’était une gigantesque construction pyramidale de béton d’un blanc éclatant. Elle étageait ses terrasses jusqu’à trois cents mètres de hauteur. De son poste d’observation, Winston pouvait encore déchiffrer sur la façade l’inscription artistique des trois slogans du Parti : 
La guerre c’est la paix
La liberté c’est l’esclavage
L’ignorance c’est la force »

Lors de ses vœux à la presse, le 3 janvier dernier, Emmanuel Macron a fait une annonce qui a retenu l’attention. Il s’est en effet positionné pour une lutte virulente contre les « fake news », les fausses informations. Or, nous avons appris par la presse que le ministère de la culture travaillait déjà sur le sujet depuis septembre, dans le plus grand secret.

Derrière ce mot d’ordre douteux et flou, plusieurs menaces sont latentes. Cette brochure entend les aborder une par une, afin de permettre à chaque citoyenne et à chaque citoyen de se forger une opinion solide à partir de réflexions étayées, sur un sujet complexe.

Car la thématique est importante. Parmi les protections essentielles de nos libertés fondamentales, on trouve en effet la liberté d’opinion (« nul ne doit être inquiété pour ses opinions (…) ») et la liberté d’expression (« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement ») qui sont consacrées par les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. C’est simple : l’absence de ces libertés, ou leur encadrement excessif pour des raisons « d’ordre public », tue nécessairement dans l’œuf toute pensée différente, toute nouveauté.

Le Conseil constitutionnel, gardien théorique du respect de notre norme suprême, a d’ailleurs toujours prudemment veillé à préserver la liberté d’expression, tant le pluralisme est vital pour la démocratie. Leur poser une limite doit donc être envisagé avec prudence et précautions.

Les huit enjeux principaux d’une telle législation sont abordés successivement. D’abord, nous revenons sur la conquête de la liberté d’expression en France – même si cette liberté demeure bornée par le mur de l’argent [1]. Ensuite, nous montrons en quoi la législation actuelle suffit pour répondre aux cas de diffamation, de calomnies ou d’injures [2<]. Cela conduit à s’interroger sur la notion même de « fake news » [3]. De quoi s’agit-il ? Et qui devrait statuer sur les informations vraies ou fausses [4] ?

Plus généralement, ce type de projet pose des questions globales sur le champ médiatique. Il est défendu au nom du journalisme. Mais le journalisme est-il résumé par une carte de presse [5] ? Et pourquoi restreindre la poursuite des « fake news » aux élections… auxquelles candidate Emmanuel Macron [6] ? Directement orientée sur les opérateurs Internet, cette sanction des « fake news » est aussi menaçante par sa vision du web. Faut-il vraiment accroître le pouvoir des plateformes [7] ?

Enfin, si Emmanuel Macron apporte des réponses qui nous paraissent inefficaces, inutiles ou liberticides, selon le contexte, il laisse de côté les pires menaces qui pèsent aujourd’hui sur la liberté d’information. La concentration des médias, les monopoles de l’information, le poids des milliardaires : autant d’urgence qui sont sciemment ignorées par ce projet, qui préfère chasser les comptes individuels sur Twitter que réguler la grande presse [8].

Censurer - ou défendre - la liberté des écrits est une question récente à l’échelle de l’humanité. Elle suit en effet le passage d’une société orale à une société écrite, avec tout ce que cela implique comme bouleversements individuels et sociaux : diffusion à des inconnus, survie des textes à leurs auteurs, capacité de répondre à un texte par-delà les années … Avec l’écrit, des rapports de pouvoir nouveaux se mettent en place.

L’ampleur des documents écrits dépend toutefois de deux évolutions historiques. D’abord, l’alphabétisation, qui détermine concrètement quelle part de la population a accès aux livres et brochures. Ensuite, l’impression qui permet la diffusion massive de textes. Or, cette technologie fait irruption dans un contexte troublé, celui de la Réforme protestante et des guerres de religion. Aussi constitue-t-elle immédiatement enjeu de contrôle pour les puissances « de droit divin ».

Dans la France monarchique de l’Ancien régime, la censure était la règle. L’ordonnance royale du 10 septembre 1563 prévoit la pendaison pour les individus qui publient des documents sans agrément. L’Ordonnance royale de Moulins en 1566 précise l’identité des personnes menacées : les vendeurs, les imprimeurs et les rédacteurs. Toute la chaîne de vente est désormais sous le coup de la loi. En 1629, Louis XIII invente un corps d’État spécifique dédié au contrôle des écrits, les « censeurs royaux ». La peine de mort cesse d’être appliquée aux éditeurs sans autorisation en 1728, mais tous les écrits demeurent suspendus à des autorisations royales ou ministérielles, fragiles, qui peuvent être révoquées à la moindre saute d’humeur des puissants.

La Révolution française renverse tout le dispositif de censure royale. Dès la convocation des États Généraux, Louis XVI est débordé par des centaines de journaux et feuillets, non-autorisés, qui prolifèrent dans tout le pays. Une fois le despote en difficulté, plusieurs révolutionnaires s’affrontent sur la question de la liberté de la presse. Robespierre est un des plus ardents partisans de sa liberté totale : « l’opinion publique, voilà le seul juge compétent des opinions privées, le seul censeur légitime des écrits. Si elle les approuve, de quel droit, vous, hommes en place, pouvez-vous les condamner ? Si elle les condamne, quelle nécessité pour vous de les poursuivre ? »1.

Un compromis est trouvé dès août 1789 lors de la rédaction de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. L’Assemblée déclare que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». Cette proclamation a des conséquences immédiates sur la pluralité des opinions diffusées. De 1789 à 1800, 1350 titres nouveaux sont édités. Le nombre de journaux vendus à Paris explose, de 4 en 1788 à 335 en 1790.

Cette proclamation va poser de graves problèmes aux gouvernements autoritaires. De Napoléon Bonaparte à Napoléon III, tous vont tenter d’étrangler le principe de liberté de la presse. Ils aspirent à dicter directement l’information à des journalistes aux ordres. Mais de manière discrète, car l’attachement des citoyens à ce droit ne fait pas mystère. En face, la révolution de 1830 découle d’une censure trop féroce, celle de 1848 débute dans des gazettes, et la Commune de Paris s’appuie sur une masse de journaux populaires.

Avec la Révolution industrielle et l’apparition des capitalistes industriels et financiers, les journaux se heurtent cependant à un nouvel obstacle qui vient redoubler la censure. Il s’agit du pouvoir de l’argent. Les achats d’encarts publicitaires, l’entretien de journaux favorables aux pouvoirs en place par les grands intérêts économiques, et le poids du crédit, mettent de nouvelles entraves aux citoyens désireux d’informer leurs concitoyens ou de diffuser des opinions. Le socialiste Louis Blanc pointe en premier, dès 1844, ce nouveau danger pour l’opinion publique. Il attaque le journalisme « porte-voix de la spéculation », lorsque des titres de presse ne tiennent financièrement que portés à bout de bras par des grands groupes économiques. Dans le dernier numéro du Peuple Constituant avant la faillite, le 11 juillet 1848, Félicité de Lamennais s’étrangle : « il faut de l’or, beaucoup d’or, pour jouir du droit de parler ; nous en sommes pas assez riches ; silence au pauvre ! ». Parfois, la censure d’État s’appuie sur les mécanismes de marché. L’obligation d’imprimer sur du papier timbré sert ainsi à renchérir les frais pour limiter le nombre de journaux en capacité financière de tirer chaque jour… et enrichit les vendeurs de papier !

Ce n’est qu’après la chute du Second Empire, l’avènement de la IIIe République et la victoire sur les monarchistes que la liberté formelle de la presse est réaffirmée dans notre pays. Elle est dotée d’un statut protecteur des libertés, qui survivra à tout le XXe siècle malgré l’éclipse vichyste : la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Elle garantit la liberté de ceux qui en ont les moyens. A l’heure de la diffusion d’internet, elle protège aussi la liberté d’expression d’ une part de plus en plus importante de la population, en capacité d’intervenir sur la scène publique. C’est cette loi que le gouvernement veut reprendre.

1 Maximilien Robespierre, Discours sur la liberté de la presse, prononcé à la Société des Amis de la Constitution le 11 mai 1791.

 

En France, depuis la loi du 29 juillet 1881, la liberté de la presse s’exerce donc dans un cadre juridique protecteur, mais aussi responsabilisant. En effet, cette liberté fondamentale est limitée par la sanction de certains délits. Quand il dit qu’il veut lutter contre les « fake news », Emmanuel Macron réinvente l’eau chaude. En effet, au nom de la loi de 1881 et de son article 27, cela fait déjà plus de 130 ans que la diffusion de « nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers » ! Ces amendes sont dissuasives ; elles peuvent atteindre 45 000 euros. Le dispositif de 1881 a été complété en 2004 avec la possibilité d’annuler des contenus illicites en ligne. Pour le droit français, la lutte contre les « fausses nouvelles » anglo-saxonnes existe donc déjà – et ce depuis bien longtemps. Par ailleurs, n’oublions pas que les articles 32 et 33 de la même loi prévoient, quant à eux, des amendes en cas de diffamation ou d’injure. Emmanuel Macron garde un souvenir cuisant de ces pratiques. La blogosphère d’extrême-droite, puis Marine Le Pen lors du débat entre les deux tours des élections présidentielles, avaient alimenté les rumeurs autour d’une supputée détention de compte en banque aux Bahamas. Ce sont probablement de telles lampées de boue qui on fait réagir à chaud Emmanuel Macron pour annoncer des réformes qui existent depuis déjà plus d’un siècle… et l’inciter à adopter de nouvelles mesures aux conséquences potentiellement liberticides. 

Avec son projet, Emmanuel Macron s’inscrit dans la continuité d’une loi allemande du 1er octobre 2017. Ce dispositif législatif, « NetzDG », réprime indifféremment publications haineuses et « fake news ». Elle en impute la responsabilité aux hébergeurs d’information, passibles d’amendes pouvant s’élever jusqu’à 50 millions d’euros. Du même coup, elle leur confie un pouvoir de censure au nom de la législation publique. Les utilisateurs peuvent signaler, et obtenir la suppression ou le blocage sous 24 heures de contenu illégal ou répréhensible. Depuis, des élus d’extrême-droite… mais également des sites parodiques ou humoristiques en ont fait les frais. Critiquée par les syndicats de journalistes et les associations de défense de l’internet libre, la loi a même soulevé les inquiétudes du Conseil de l’Europe. Ce dernier s’est ému de l’incompatibilité entre cette loi et l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme : « la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière ».

Les questions techniques sont légion sur le projet macronien. Lorsqu’il parle de bloquer un site, envisage-t-il de bloquer l’hébergeur ? Si un journal diffuse une fausse nouvelle par l’intermédiaire de Twitter, qui le gouvernement bloquera-t-il ? Le site du journal, sa page Twitter, ou les deux ? L’ambiguïté et les zones d’incertitude sont importantes En outre, la répression des « fake news » à un niveau national est vouée à l’échec, les contenus sponsorisés pouvant immédiatement migrer sur une autre plateforme… L’Ukraine a ainsi essayé, en vain, d’interdire certains sites russes, visés explicitement par Emmanuel Macron en mai dernier- et ceux sont partis prospérer sur d’autres supports… La fragilité technique du dispositif proposé par Emmanuel Macron ne permettra certainement pas d’affaiblir les médias russes de diffusion à l’étranger Spoutnik et RT, qui ont bien d’autres cordes à leur arc ; en revanche les voix indépendantes en France, plus vulnérables, seront, elles, très certainement affectées…

Pourtant, en France, la loi de 1881 et sa modération ont permis de trouver un équilibre durable. Cet équilibre concerne tous les médias, aussi bien la presse (initialement visée à la fin du XIXe siècle) que les nouveaux modes de communication : radio, télévision ou internet. Dans cet équilibre, le droit d’informer et de s’informe ont la primauté. La parution se fait et la répression intervient a posteriori. Elle ne dépend que du juge dans une procédure protectrice du média mis en cause. Un magistrat a la compétence d’enclencher des poursuites y compris contre des « fake news » qui troubleraient l’ordre public. C’est par exemple le cas des calomnies en période électorale. Le principe est bien que « l’imprimerie et la librairie sont libres ». Les procédures en vigueur (amendes, condamnations ou droit de réponse) ont jusqu’alors été suffisantes pour assurer une condamnation, après examen rigoureux et sérieux des fausses nouvelles.

Que changerait un nouvel arsenal spécifique aux « fake news » ? Nous allons voir qu’il pose davantage de problèmes qu’il n’en résout et n’est notamment pas sans danger pour les libertés publiques.

Dans ses vœux à la presse du 3 janvier dernier, Emmanuel Macron a été très confus pour définir ces « fake news ». Il n’en a pas donné de définition précise. Rappelons d’abord que le terme de « fake news » n’est qu’approximativement traduit par « fausse nouvelle ». le terme de « fake » renvoie aussi à l’idée d’un maquillage, d’un arrangement des faits, et pas seulement à la fausseté. La « fake news » revêt donc une dimension intentionnelle. Comme l’explique le philosophe Jocelyn Benoist : « une simple erreur, du fait du mode de diffusion viral propre aux nouveaux médias, ne peut-elle acquérir un tel statut ? La fausseté à elle seule, certainement, ne suffit pas. Les « fake news » ne vivent que de leur participation à l’horizon des « news » ». C’est parce que l’information contemporaine a érigé les « news » en objectif que les « fake news » posent tant de problème. Ce glissement témoigne de l’abandon du journalisme de réflexion et d’analyse au profit d’un journalisme de « nouveauté ». 

Rappelons que ce terme a été popularisé par Donald Trump pendant la campagne électorale et renvoie à une diversité de phénomènes (contenus satiriques, contenus sponsorisés, contenus rédigés par des professionnels ou des particuliers, contenus enfin … qui ne plaisent pas à celui qui en est l’objet). En matière de transmission d’information, les dispositions de l’émetteur comme du lecteur sont importantes. Si quelqu’un prend un article du Gorafi au sérieux ou fait en sorte que celui-ci soit pris au sérieux, cela n’en fait pas pour autant, en tant que tel, une « fake news ».

Les « fake news » dont parle Emmanuel Macron sont donc un mot fourre-tout, une « coquille vide ». Il s’agit seulement d’une annonce politique, une « réponse de politicien » selon les mots de Pascal Froissart, maître de conférences spécialiste de la rumeur et des médias.

En effet, il est ardu de comprendre comment une telle annonce serait applicable. Tout d’abord, comment distinguer entre une « vraie nouvelle » et une « fausse nouvelle » ? La naissance même d’une « nouvelle » implique que quelqu’un observe, voie, signale, puis qualifie l’événement. A chacune de ces étapes, la subjectivité intervient. Ce n’est pas une information objective qui est transmise aux autres, mais bien une opinion sur un fait qui est survenu. Le fait est nécessairement déformé par l’œil et la langue de l’observateur. La distinction entre vérité et opinion, objectivité et subjectivité est par nature complexe . Les quelques exemples suivants en attestent :la morale joue un rôle majeur dans la compréhension des faits « vrais » et « faux ». La fausse nouvelle de l’un n’est peut-être pas la fausse nouvelle de l’autre ! Le projet Macron est donc dangereux dans son ambition de juger officiellement de « la vérité ».

En premier lieu, penchons-nous sur la question de l’observation. Certaines informations sont dans le champ, et d’autres sont « hors-champ », ce qui rend par principe complexe toute législation sur la vérité. Déplaçons-nous pour un moment dans le département de la Creuse : 277 salariés de l’entreprise GM&S défendent leur emploi. Puisque beaucoup de médias nationaux s’intéressent essentiellement aux grands centres urbains, ils n’observent pas spontanément les départements les moins peuplés de France. Cette information est donc en-dehors du champ de veille. Elle existe, mais elle est pourtant ignorée.Ainsi, lorsqu’un journal hebdomadaire annonce avec volupté que « la croissance repart en France et les perspectives s’améliorent pour les salariés du pays », cela ne vaut pas pour tous les salariés du pays – mais seulement pour ceux qui intéressent ce grand journal (à titre d’exemple, le journal “Le Monde” se proclame “Premier quotidien des CSP +”). Faudrait-il le condamner, pour avoir oublié la situation des salariés de GM&S, propageant ainsi une fausse nouvelle ?

En deuxième lieu, se pose la question de la perspective et de la mise en valeur de l’information. Comment une information prend-elle sens dans son contexte ? Si un observateur scrute la Creuse, est-ce qu’il remarquera la situation des GM&S ? Sa subjectivité fait qu’il sera sensible à un événement ou non. Si l’observateur estime normal que la « loi du marché » et la mise en concurrence internationale conduisent à l’extinction des industries françaises, il n’évoquera même pas le conflit social. Quand un journal télévisé proclame que « la Creuse est un département tranquille où il fait bon vivre et passer ses vacances », le propos serait donc incomplet et inexact, car le drame humain que subissent les salariés, leurs familles et proches est tout simplement omis. Cette information est-elle alors répréhensible, en tant que « fausse nouvelle » ?

En troisième lieu, le choix des informations peut aussi être défini comme fausse nouvelle. Chaque personne a une manière propre de signaler et de partager les informations qui lui semblent importantes. Après qu’un observateur ait repéré une situation, puis l’ait jugée problématique, enfin l’ait trouvée digne d’intérêt, il doit encore décider que celle-ci vaut la peine d’être connue des autres. Lorsque les animateurs d’une émission de radio annoncent leur ambition de parler de tous les conflits sociaux ayant lieu en France, mais décident de ne pas parler de GM&S (parce qu’ils se concentrent sur les plus grosses entreprises plus grosses, avec davantage de salariés concernés, ou dans d’autres secteurs…), ils propagent du même coup l’ignorance de ce conflit ! Les inquisiteurs zélés vont-ils les poursuivre pour ne pas avoir dit toute la vérité ? L’omission est-elle une « fake news » ? Mais dans ces conditions, qui est encore à l’abri ?

Enfin, le poids des mots est engagé dans la définition de « fake news ». En effet, la manière de décrire un événement dépend des sensibilités et de la subjectivité de la personne impliquée. Un observateur désireux d’évoquer la situation des GM&S pour en tirer une information communicable au grand public ne produira pas le même texte que son voisin. Les approches d’un même événement sont multiples. La diversité de traitement des sujets est une source de liberté, car elle motive l’existence de différents médias, chacun avec son regard propre. Si un observateur s’exclame que GM&S ferme car l’entreprise est non rentable, alors que d’autres observateurs rejoignent les syndicats qui pointent le désengagement de l’État comme cause de fermeture : qui a raison ? On ne peut pas trancher le débat avec des juges. La position de classe et les intérêts de chacun influencent aussi le rapport au réel.

Ainsi, dans son fondement même, une « nouvelle » résulte par principe même d’une succession de choix discutables et polémiques. Une nouvelle est donc avant tout une « opinion », marquée par la subjectivité de son auteur, même si, comme le proclame la règle déontologique des journalistes, « les faits sont sacrés ».

Comment donc discriminer juridiquement des rumeurs, des opinions, des faits erronés, des appréciations contestables les uns des autres ? En englobant tout dans le mot-valise de « fausses nouvelles », Macron peut tout simplement rétablir le « délit d’opinion » .

De plus, même si l’on accepte une définition très large du terme, comme celle de Reuters, les rapports de consultation montrent la marginalité du sujet. Les sites de « fake news » au sens de Reuters regroupent moins de 3,5% de la fréquentation mensuelle moyenne de sites d’information. Ces 3,5% sont eux-mêmes le fruit d’un peu moins d’1% des internautes du pays ! Les « sites de fake news » sont tout à fait marginaux dans l’information des internautes.

Face à une question aussi complexe que la liberté d’expression, de savoir si une nouvelle est « objectivement fausse » ou s’il s’agit d’une appréciation différente, Emmanuel Macron n’a pas vraiment fait preuve de subtilité. Dans ses vœux, il affirme qu’« en cas de propagation d’une fausse nouvelle, il sera possible de saisir le juge à travers une nouvelle action en référé permettant le cas échéant de supprimer le contenu mis en cause, de déréférencer le site, de fermer le compte utilisateur concerné, voire de bloquer l’accès au site Internet. »

En France, le juge a généralement pour rôle d’assurer le respect du droit et des libertés fondamentales. Pas de les réprimer ! Ici, on demande aux magistrats concernés de sanctionner la liberté d’expression au nom de l’ordre public. Il semble peu probable, même mise en actes, que cette législation s’accompagne d’une implication importante des magistrats en charge de l’assurer. Elle menace plutôt leur identité professionnelle et la place de l’autorité judiciaire dans la séparation des pouvoirs.

De plus, les conditions objectives d’application sont problématiques. Un juge en référé est souvent un juge devant statuer seul. C’est-à-dire qu’il statue sans la sécurité qu’apporte la discussion dans le cadre d’une formation de jugement collégiale, sans parler à des collègues, entendre des avis extérieurs et soupeser des controverses. En référé, il prend une décision dans un délai très court, de moins de 48 heures ou de 72 heures. Chaque heure compte ! Les conditions nécessaires pour rendre une décision sereine ne sont pas réunies. Dans l’urgence, le juge n’a forcément pas toutes les pièces à disposition. Il ne pourra pas auditionner tous les experts. En revanche, il écopera d’une surcharge de travail, car il devra en même temps rendre justice sur de nombreux autres dossiers. Concrètement, Emmanuel Macron envisage la réalisation d’un contrôle formel dans des conditions dégradées sur le caractère véridique ou non d’une information.

Prenons un exemple : qui peut croire qu’en l’espace de 48 heures, un juge aurait pu décider si l’enquête de Médiapart sur le financement par des fonds libyens de la campagne de Nicolas Sarkozy était une « fausse nouvelle » ? Au contraire, dans un tel cas l’institution judiciaire serait entièrement décrédibilisée. Notamment si trois jours après le jugement un nouveau document était sorti par voie de presse ! Et le secret des sources devant le tribunal ? Qu’en sera-t-il si la procédure est contradictoire ? Ce n’est pas parce que les faits ne sont pas étayés par des documents publics (pensons par exemple au « confidentiel défense » et au « secret défense ») qu’ils constituent des « fausses nouvelles » ! En période électorale, le problème est d’autant plus sensible. Ainsi, lorsque François Fillon menaçait, pendant la dernière campagne électorale, d’exercer un recours contre le Canard enchaîné au titre de l’article L. 97 du code électoral pour « propagation de “fausses nouvelles” et “bruits calomnieux” », pense-t-on seulement que le juge aurait pu se prononcer en toute sérénité ? Le risque est alors important d’une instrumentalisation de l’autorité judiciaire par le pouvoir politique.

Pour être applicables sereinement et incontestées, les lois ne doivent pas émaner d’individus qui veulent se venger d’attaques personnelles, aussi inacceptables soient-elles. C’est pourtant manifestement le cas dans ce projet. Il faut donc réfléchir aux modalités de mise en œuvre d’une législation avant de foncer tête baissée. La justice républicaine n’existe que si elle dispose des moyens de son action. 

A propos de justice, d’ailleurs, Emmanuel Macron a annoncé le 15 janvier que les magistrats du parquet resteront sous tutelle du ministre de la justice. Bon exemple de la difficulté de séparer « true » et « fake » news : le même jour, trois médias différents ont pu titrer qu’ « Emmanuel Macron refuse d’accorder son indépendance au parquet », que « Macron refuse d’accorder au parquet son indépendance totale » ou encore que « Macron fait un (petit) pas vers l’indépendance du parquet » ! Qui sanctionner ?

Lors de ces fameux vœux du 3 janvier, Emmanuel Macron a aussi déclaré qu’« il n’a jamais été aussi facile de se prétendre journaliste. La technologie et l’argent subviennent au manque de compétences et l’indifférenciation des paroles et des avis conduit à tout confondre. » En disant cela, il méconnaît le sens de la liberté d’expression. Il ne saurait être besoin, en France, de disposer d’une carte de presse pour exercer son droit de « parler, écrire, imprimer librement ». Nul besoin non plus d’être choisi par le président pour être « autorisé » à couvrir les événements officiels, comme c’est le cas depuis l’entrée en fonction d’Emmanuel Macron pour les journalistes accrédités à l’Elysée.

Le président souhaite-t-il proposer une loi qui distinguerait celles et ceux qui sont journalistes, dotés du droit d’écrire, ceux et celles qui, simples citoyennes et citoyens, internautes, blogueurs, n’auraient pas droit de créer ou de relayer des « nouvelles » ? Le risque d’une telle position est de donner à une petite minorité de personnes un monopole sur la production de l’information et sa diffusion. Le danger est évident : priver de la liberté d’expression une grande partie de la population au nom de l’expertise de la maîtrise de l’information par les détenteurs du statut de journaliste.

A l’inverse, en l’état du droit, est-ce que détenir une carte de presse garantit une réllement une déontologie particulière ? Le site Acrimed pointe régulièrement les connivences, les renvois d’ascenseur ou les parti-pris des grands journalistes en poste. Plus généralement, les cas de journalistes encartés sans déontologie sont nombreux. Dès 1990, attirés par l’odeur du sang, plusieurs journalistes inventent les « charniers de Timisoara ». En 1991, durant la guerre du Koweït, plusieurs journalistes embarquent directement dans les tanks américains et se font propagandistes de guerre. On retrouvera cette logique lors de la guerre de Yougoslavie ou d’Afghanistan. On se souvient également de la fausse interview de Fidel Castro présentée par Patrick Poivre d’Arvor au journal télévisé de TF1 le 16 décembre 1991. Quant aux oscillations de certains journalistes entre les médias et le pouvoir en place, ils interrogent sur leur éthique et les intérêts de leurs prises de parole. C’est le cas de Bruno Roger-Petit, qui adulait Emmanuel Macron au moment de son élection en 2017… et a obtenu un poste à l’Elysée quelques semaines après.

Interview du président Macron, 17/12/2017

Top 10 des questions de Laurent Delahousse

Ou leçon de journalisme à l’usage des jeunes générations

  • Vous avez plusieurs bureaux à l’Elysée ?

  • Ce n’est pas une légende, vous dormez très peu ?

  • Il vous obsède, ce temps qui passe ?

  • L’Elysée reste l’Elysée ?

  • On a découvert le président Macron qui court. Vous courez beaucoup depuis 7 mois ?

  • Les Français, vous leur dites : « N’ayez pas peur de toutes ces révolutions que je vous propose ? »

Regardons de plus près. L’obtention d’une carte de presse repose sur deux critères. D’abord, il faut tirer la majorité de ses revenus de l’activité de journaliste. Ensuite, il ne faut pas être attaché de presse. D’après l’article L. 7111-3 du code du travail, « est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources », soit plus de 50% des ressources perçues selon la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels. Que dire des journalistes de la presse dite « people » qui disposent d’une telle carte de presse ? Est-ce que le colportage de rumeurs ou de ragots sur des célébrités, qui constitue leur fonds de commerce, peut être assimilé à un travail de « vraies nouvelles » ? Lorsque des journalistes du Monde, de Libération ou de Radio France sont rémunérés par Facebook pour traiter des informations signalées par les internautes, s’agit-il encore d’un travail de journalistes ou d’un travail de chargé de communication pour Facebook ? Ces frontières sont particulièrement floues. Et l’action des lanceurs d’alerte ou des veilleurs citoyens justifie tout à fait de garantir la parole pour toutes et tous, quel que soit le statut des informateurs du public. Le tout, dans le respect de la législation actuelle.

En outre, les médias traditionnels sont en pleine crise traversent une profonde crise de légitimité. Il est clair que le projet d’Emmanuel Macron vise à conforter leur légitimité à une époque où ils éprouvent les pires difficultés à trouver un public – sauf quelques titres indépendants, au lectorat fidèle. Toutefois, en même temps, le gouvernement s’apprête à affaiblir encore davantage l’audiovisuel public. A cet égard, le projet dessiné par le document “CAP 2022” du ministère de la culture qui a “fuité” dans la presse en novembre 2017 est paradigmatique. Ce document, qui prévoit notamment de fusionner les différents opérateurs audiovisuels publics - dont France Télévision, Radio France et l’INA - dans un holding présidé par un Président unique, n’augure pas d’un renforcement de la liberté d’information mais offre plutôt une ressemblance saisissante avec le bon vieil ORTF…De même, lutter contre la stratégie d’influence médiatique de la Russie en France passe avant tout par la mise en oeuvre d’une diplomatie publique française dynamique. Alors que le réseau des Alliances française traverse actuellement une crise financière majeure - notamment liée à l’inaction de l’Etat - et que France Media Monde est incluse dans le projet “Cap 2022”, pense-t-on véritablement qu’Emmanuel Macron entend renforcer la qualité de l’audiovisuel français à l’étranger ? Ces annonces incohérentes de l’exécutif ne peuvent cacher l’essentiel : les médias français, publics comme privés, vivent aujourd’hui dans un modèle économique à bout de souffle qui nuit à la qualité et à l’indépendance de l’information qu’ils offrent à leur public. Ils ne peuvent ainsi prétendre au statut d’uniques producteurs et diffuseurs de l’information.

Pour recouvrer la légitimité perdue, ces médias traditionnels tentent également aujourd’hui de séparer le vrai du faux. Ils ont même développé à cet effet des rubriques de vérification des informations (fact-checking, décodeurs, vrai/faux, cross-check…). Du coup, tout le monde doit se défendre de produire des « fake news »… et surtout, les médias traditionnels s’exposent à des retours de flamme. La France insoumise a ainsi le Désintox pour faire la chasse aux mensonges ou aux omissions. La législation Macron a cela de spécifique qu’elle entend légaliser des « fact-checkeurs », et investir dans la « correction » de l’information. Mais ce type d’orientation participe justement de l’épuisement du modèle journalistique… c’est à ce dernier qu’il faut réfléchir, plutôt que de faire rentrer tout le monde dans un moule contesté et contestable.

L’annonce d’Emmanuel Macron est d’autant plus floue et étonnante qu’elle ne concernerait que la « période électorale » - comme si des « fausses nouvelles » hors de telles périodes n’affecteraient pas le débat démocratique. 

Mais nous sommes tout le temps en période électorale ! Les citoyens et citoyennes votent aux élections présidentielles et législatives, certes, mais les élections partielles rythment tout mandat : de fin janvier à mai 2018, nous entrons dans une période électorale incessante, avec cinq élections législatives partielles. Chaque député et députée représentant la Nation entière, il n’y a jamais de trêve dans cette période électorale.

En réalité, Emmanuel Macron veut restreindre le contrôle des « fake news » à certaines périodes électorales très précises, notamment celles qui le concernent. Mais la démocratie ne s’arrête pas pendant 5 ans le soir du deuxième tour de l’élection présidentielle. C’est une forme d’aveu monarchique. Cette proposition révèle les méthodes du pouvoir actuel, dont on connaît le peu d’appétence pour le contrôle citoyen ou le « quatrième pouvoir ». Dans l’esprit de Macron, un débat démocratique vivant hors élections ne peut constituer qu’une perte de temps ou un dangerr. Il ne s’imagine pas rendre de comptes dans un débat arbitré par des journalistes « déontologique » avant 2022.

Pour Macron, d’ailleurs, les élections présidentielles, dans les assemblées nationales ou territoriales sont les seules élections politiques. Mais la France est une démocratie sociale depuis la Constitution de 1946. Les citoyennes et les citoyens votent aussi pour des représentants professionnels sur le lieu de travail, des élus étudiants à l’université, ou encore les juges prud’homaux. La diffusion et l’entretien de fausses nouvelles a des conséquences tout aussi graves dans ces élections. Les élus du personnel dans l’industrie nucléaire, dans le rail, dans l’éducation nationale, jouent un rôle fondamental pour des millions d’habitants. La diffamation d’un syndicat, par exemple, est une atteinte grave à la démocratie. Elle a des répercussions ultérieures dans une entreprise, une profession, un bassin d’emploi, ou un service public national. Elle interpelle les riverains, les usagers et les travailleurs.

La portée de la notion de « période électorale » est d’ailleurs plus que vague. En droit électoral, la période électorale peut aller d’un an (pour le financement et les dépenses des candidats à la présidentielle) à la période où une élection est mentionnée (il faut alors assurer l’accès « équitable » des différents candidats aux médias audiovisuel, c’est la règle du Conseil supérieur de l’audiovisuel) à deux semaines avant le vote (pour la stricte égalité d’apparition des candidat.e.s à la radio et à la télé, pour la seule élection présidentielle). Ainsi, selon le sens attribué à l’expression « période électorale », elle peut s’appliquer… presque toujours, ou presque jamais ! Merci patron !

La volonté d’Emmanuel Macron de juguler les « fake news » passe par son souhait de « responsabiliser » les plateformes en ligne et les réseaux sociaux. C’est en effet sur ces médias que la propagation de « fake news » serait la plus massive. Google et Facebook comptent en effet parmi les plus gros diffuseurs de contenus médiatiques, même si ces entreprises jouent de leur position de monopole et ne participent ni au financement de ces médias, ni à la rémunération des journalistes qui produisent ces contenus. Ils appartiennent également aux plateformes publicitaires les plus lucratives du monde. Pourtant, une entreprise comme Facebook n’a qu’un intérêt limité à mener une véritable guerre contre les fausses nouvelles étant donné que ces contenus sont souvent sponsorisés et lui rapportent de l’argent proportionnellement au nombre de personnes qui cliquent sur ces liens. « Responsabiliser » les réseaux sociaux, c’est ainsi leur donner un rôle de pompiers pyromanes.

Il faut cependant noter que certains de ces sites ont déjà mis en place des mesures contre les fausse nouvelles, davantage par peur des accusations et de la dégradation de leur réputation que par réelle préoccupation pour la démocratie. Google a d’ores et déjà annoncé avoir modifié son algorithme de présentation des informations pour que les « fake news » soient moins mises en valeur et que le moteur de recherche renvoie des résultats plus « fiables ». Pourtant, les nouvelles mensongères n’ont pas été les seules ciblées par ce nouvel algorithme. Des sites de gauche, pacifistes et progressistes ont également vu leur fréquentation chuter à cause de la nouvelle méthode de référencement, comme l’a souligné le World Socialist Website en avril 2017. Veut-on donner aux grands monopoles d’internet un pouvoir accru sur le référencement des sites, et donc sur l’information légitime ?

De même, Facebook a choisi de conclure un partenariat avec 8 médias français (parmi lesquels Le Monde, L’express, BFM TV, France Télévisions, Libération…) chargés de « fact checker ». En bon français, ils sont censés vérifier les faits des publications partagées sur le réseau social lorsqu’elles sont signalées par des utilisateurs. Les médias concernés sont tous soit des médias du service public, soit possédés par un des 10 milliardaires qui contrôlent la quasi-totalité de la presse française. Aucun média indépendant ou alternatif ne s’est vu confier la possibilité de contribuer à la définition de ce qu’est une fausse information.

Il est irresponsable de confier à des plateformes privées qui comptent parmi les plus grandes capitalisations boursières du monde le soin de réaliser, grâce à des algorithmes ou des politiques de labellisation de l’information, l’arbitrage entre ce qui relève d’une information de qualité ou pas. C’est une soumission pure et simple à leur vision politique et à la défense de leurs propres intérêts. 

Ceci est d’autant plus préoccupant que nous sommes entrés dans une époque où la neutralité du net, c’est à dire le droit de recevoir des paquets de données avec la même qualité de service, quel que soit le site émetteur ou receveur, a été supprimée aux États-Unis en décembre 2017. Les plus grosses entreprises, comme Google et Facebook, ont ainsi la possibilité de payer pour que leurs services soient plus faciles et rapides d’accès que ceux d’autres émetteurs, concentrant dès lors un peu plus le pouvoir d’information entre leurs mains.

Il est déjà inquiétant d’observer ce que les monopoles du web sont capables d’accomplir dans le cadre de la législation actuelle. Ainsi, le service Google Maps modifie à son gré les frontières entre les États, selon le pays de recherche – il fait primer ses intérêts commerciaux dans le pays concerné plutôt que la cartographie internationale sous contrôle de l’Organisation des Nations unies. Il fait aussi disparaître des villages entiers dans les pays où il n’entretient que peu d’ambitions économiques. 

L’urgence est donc plutôt de promouvoir la souveraineté numérique collaborative que de privatiser totalement des espaces Internet sous contrôle de multinationales.

Au contraire de ces annonces politiciennes d’Emmanuel Macron, nous proposons des solutions concrètes face à la partialité et la baisse de qualité de l’information disponible pour les citoyens et citoyennes. Qu’elles soient issues de l’Avenir en commun (points 73 et 79 notamment) ou du Livret « Médias » de la France insoumise, toutes ces réformes n’attendent que d’être mises en place ! Leur objectif est sans équivoque : des médias indépendants et pluralistes pour une information de qualité.

Premièrement, pour rappeler à l’ordre les éventuels journalistes qui n’exerceraient pas sérieusement leur profession (en contradiction des principes déontologiques de la Charte de Munich de 1971) nous proposons la création d’un « Conseil de déontologie du journalisme ». Ce conseil serait par exemple composé de représentants des éditeurs, des journalistes, des directeurs des rédactions et de la société civile. Il pourrait ainsi dénoncer les manquements à la déontologie journalistique. Les professionnels et les usagers vérifieraient ainsi que les médias respectent les valeurs de la profession (conflits d’intérêts, vérification des sources, assumer une subjectivité et ne pas induire le lecteur/auditeur en erreur, etc…). La constitution d’une structure nationale éviterait les pseudo-comités qui pullulent dans certains endroits, comme la pantalonnade du Comité d’éthique de Radio France, qui comporte un grand nombre de journalistes en conflit d’intérêts permanents et siègent dans des Fondations de multinationale dès leur réunion terminée.

Un Conseil de déontologie du journalisme permettrait de mieux consacrer l’indépendance de la presse et des médias, quatrième pouvoir de notre République. L’avantage est clair : il s’agit d’éviter tout contrôle exercé par les pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaire, ainsi que des puissances économiques qui peuvent vouloir contrôler l’information. Les licenciements de journalistes sur ordre de l’Elysée, comme celui d’Aude Lancelin ou Cécile Amar dans L’Obs, sont nettement plus dangereux que les élucubrations sur Twitter de quelques particuliers ! Pour retirer au pouvoir présidentiel sa mainmise sur les médias, le livret de la France insoumise Des médias au service du peuple prévoit de confier au Parlement l’élection du président de l’audiovisuel public.

Au-delà de la déontologie des individus, le problème le plus grave concerne les structures de l’espace médiatique dans son ensemble, qui joue le rôle de seconde peau du système. La France accueille 5000 revues de presse écrite, 900 radios privées, 67 chaînes locales (dont un tiers en Outre-Mer), 32 chaînes nationales de télévision… Mais la profusion cache une réalité terrible : 80 % de ces médias sont possédés par 9 milliardaires. La quasi-totalité des médias appartient à une vingtaine de personnes. Après les fragiles acquis de la Libération en 1945, qui a écarté collaborateurs et certains grands propriétaires de presse en situation de monopole, nous revenons aujourd’hui à une situation monopolistique proche de celle du début du XXe siècle en ce qui concerne les médias hors-internet. En 1897, Jean Jaurès dénonçait déjà « l’industrie du journal », qui « a besoin pour vivre de grands capitaux, c’est-à-dire de ceux qui en disposent »1. Un tour d’horizon prouve la justesse de l’intuition : Bernard Arnault, première fortune française, contrôle via son groupe LVMH (dont il détient 47% des parts) le groupe Les Echos (à 100%), qui regroupe outre le journal du même nom la revue Investir et Radio Classique. Parfois, les milliardaires cotisent entre eux. Xavier Niel et Matthieu Pigasse, quant à eux, ont acheté 80% des parts de la structure financière Le Monde libre, qui contrôle 73% de la société anonyme Le Monde, qui détient toutes les parts du Monde, de Courrier international, Télérama, La Vie et Prier. Enfin, lorsque des familles comme Dassault investissent dans la presse alors qu’elles sont les premiers fournisseurs de l’État en matière d’armement, la confusion est à son comble. Au-delà du Figaro et du Figaro Magazine, la famille Dassault dirige également La lettre de l’expansion et Le Particulier. L’imposition de ligne éditoriale est souvent dissimulée et progressive, par des « pressions amicales ». Mais elle prend une forme plus violente lorsque des requins de la finance se saisissent des médias. A Canal+, Vincent Bolloré censure des reportages et mute des journalistes de manière discrétionnaire, pour faire taire toute critique sur son empire économique. A I-Télé, en novembre 2016, Vincent Bolloré impose une nouvelle ligne politique, et brise la grève de 31 jours des journalistes. Parfois, ils utilisent aussi la voie judiciaire, notamment par des poursuites à l’étranger… pour contourner la loi de 1881 qui protège les journaux ! Depuis 2009, Vincent Bolloré et les sociétés qui l’entourent, notamment la Socfin, ont engagé vingt procédures en diffamation contre des reportages, des rapports et des livres qui montrent la violations des droits humains par ses activités en Afrique. 

Une manière efficace de limiter l’attrait des « fake news » consiste aussi à restaurer la crédibilité de la presse. Celle-ci passe, notamment, par son indépendance financière. A contrario, flatter les patrons des GAFA’s comme vient de le faire Emmanuel Macron le 22 janvier dernier lors de l’opération « Choose France », où il a notamment reçu en grandes pompes à Versailles Sundar Pichai, PDG de Google, contribue à laisser ces groupes renforcer leur monopole sur l’information. Alors que le problème des « fake news » est avant tout celui de contenus « sponsorisés » qui dire mis en avant par les algorithmes des réseaux sociaux moyennant paiement, il convient avant tout de faire pression sur les multinationales et, le cas échéant, de les sanctionner. Il existe aujourd’hui une véritable économie du « fake news » dont certains tirent profit, qu’il convient de nommer comme tel et de combattre. Ne nous trompons pas de cible : les blogueurs indépendants et les journalistes d’investigation ne doivent pas être confondus avec les trafiquants d’audience !

Nous avons des réponses précises pour défendre le pluralisme et l’indépendance de la presse, couper le cordon entre puissances d’argent et médias, soutenir la non marchandisation de l’information. Nous proposons d’adopter une loi anti-concentration des médias, qui permette notamment de protéger le secteur des intérêts financiers, de faciliter la transformation des médias en coopératives de salariés, lecteurs, auditeurs, téléspectateurs, et d’attribuer des fréquences aux médias locaux et associatifs. Ceci passera notamment par une lutte « contre la concentration horizontale » en interdisant d’être propriétaire de plusieurs formats de support identique (ce qui impactera directement les grands groupes de presse, (qui ne pourront pas posséder plusieurs journaux, radios) ainsi que les fournisseurs d’accès internet et les plateformes numériques de type GAFA (Google, Apple Facebook, Amazon). Cela permettra de mettre aussi fin à la « concentration verticale » pour un même type de média, en interdisant les situations de monopole (ou quasi-monopole) national ou régional dans la presse. Enfin, pour que chaque auditeur, auditrice, lecteur et lectrice sache par qui la parole médiatique est rémunérée, les règles de publicité sur l’actionnariat des publications seront renforcées par des sanctions pénales.

En complément, nous estimons qu’une nouvelle architecture de la régulation des médias est nécessaire. Nous proposons de remplacer le Conseil supérieur de l’audiovisuel par un Conseil national des médias “” Celui-ci sera suffisamment doté en moyens humains et financiers pour constituer un véritable contre-pouvoir citoyen garantissant le pluralisme des opinions et des supports ainsi que la qualité de tous les médias. Contre-pouvoir citoyen ? Oui car nous consacrerons notamment le droit des citoyens de saisir le Conseil national des médias pour signaler un abus et, le cas échéant, obtenir réparation.

Troisièmement : comment réorganiser le soutien de l’Etat au bien public que sont les informations de qualité ? La dimension économique de l’aide publique est loin d’être brillante. Aujourd’hui, les aides à la presse ne favorisent plus le pluralisme intellectuel. Au contraire, désormais, des magazines « people » reçoivent plus d’argent public que les journaux locaux qui donnent la parole aux citoyens ! De plus, avec la concentration des médias, les multinationales de la presse réussissent à attirer toutes les aides du contribuable – avant de lui vendre une information selon laquelle il ne paierait pas assez cher la dette publique, détenue par les mêmes personnes qui financent le média ! Que faire ? Renforcer les aides publiques à la presse pour les réserver aux médias d’information et mutualiser les outils de production (imprimeries, serveurs, distribution, etc.). Comment faire ? En unifiant notamment les critères d’accès aux aides publiques actuelles de la presse écrite (papier et en ligne), des radios associatives privées et des médias locaux d’information. Ces aides seront réservées aux médias d’information sans but lucratif et ne possédant qu’un média de chaque type ou périodicité (pour la presse imprimée). Seront exclues du bénéfice des aides publiques des supports et publications condamnés pour incitation à la haine, violation de la vie privée et atteinte à la dignité des personnes.

Quatrièmement, pour pouvoir garantir la sérénité démocratique lors des élections où le peuple, seul détenteur de la souveraineté, désigne ses représentants, le premier des défis est bien de combattre la « sondocratie ». Comment procéder ? Tout d’abord, par l’interdiction des sondages dans les jours précédant les élections et par l’adoption de la proposition de loi sur les sondages, votée à l’unanimité par le Sénat en 2011 et enterrée depuis, alors qu’elle pourrait faire l’objet d’un large consensus citoyen. Mais surtout, il ne faut pas se voiler la face, c’est l’absence de débat pluraliste et de qualité qui nuit avant tout à la vitalité démocratique de la France. Pour améliorer l’accès à l’information des citoyennes et citoyens, nous proposons à cet effet : l’instauration d’un temps de parole des différentes options politiques en lice suivant le principe d’équité proportionnelle aux résultats des élections législatives et l’organisation de débats publics télévisés, locaux et nationaux, avec l’obligation d’inviter tout candidat et toute candidate en lice pendant les périodes électorales. Par ailleurs, n’oublions pas que les choix éclairés du peuple, et sa capacité à distinguer l’honnêteté de la cupidité médiatique, vont de pair avec les moyens investis dans l’éducation nationale. Par l’extension de la scolarité obligatoire de 3 à 18 ans et le recrutement d’au moins 60 000 enseignants supplémentaires, nous sommes prêts à relever ce défi.

Enfin, réparons l’oubli principal d’Emmanuel Macron contre les fausses informations qu’il accuse de vouloir induire en erreur et manipuler les esprits. Qu’en est-il de la publicité à but lucratif ? Que faire de ces non-informations qui ont pour unique but de faire consommer, et de s’imposer dans notre « temps de cerveau disponible », pour reprendre la formule insultante de l’ex PDG de TF1 Patrick Le Lay ? Contrairement aux « fake news » macroniennes qui renvoient à tout et n’importe quoi, les effets sociaux et néfastes de la publicité sont connus. Nous proposons de la restreindre pour que les publics les plus fragiles ne soient pas influencés en interdisant la publicité commerciale dans les institutions publiques (écoles, hôpitaux) et dans les programmes de télévision destinées aux enfants, ainsi que la mise en scène d’enfants dans les publicités. L’espace public doit aussi être rendu au peuple. Nous proposons de faire reculer l’affichage publicitaire en commençant par les abords des villes et des bourgs aujourd’hui défigurés, et d’interdire les écrans publicitaires numériques dans les lieux publics.

A l’encontre d’une vision policière de ce que serait le « vrai » et le « faux » établis par le monarque républicain Macron , la France insoumise souhaite mettre fin aux discours de façade, aux « fausses promesses » pour redonner du sens et de la réalité aux mots. Des médias indépendants, pluralistes et une information de qualité sont une des conditions indispensables à toute société démocratique. L’archaïsme actuel est en fin de vie, et l’avenir va bientôt en émerger. Contre le mirage des « fake news », voilà une « vraie nouvelle » d’importance » !

1 Revue bleue, 30/10/1897, p.550.

  • L’arrachage de couvertures ou de sacs de couchage aux migrants de Calais ainsi que leur gazage, documentés par des vidéos et des témoignages directs ? « Des approximations et les mensonges (…) Je ne peux laisser accréditer l’idée que les forces de l’ordre utilisent la violence. » Fake news M. le président !

Conférence de presse à Calais, 16/01/2018

 

  • « L’Europe avance, je salue l’accord ambitieux sur le travail détaché : plus de protections, moins de fraudes » : bilan 9 mois plus tard ? Aucun accord entre le Conseil, la Commission et le Parlement européen ! Au contraire, les écarts entre travailleurs détachés et travailleurs locaux s’accroissent avec les ordonnances Macron, car les conventions collectives ne s’appliquent pas aux travailleurs détachés.

Compte twitter du Président de la République, 24/10/2017

 

  • « Aujourd’hui, comment ça se passe dans une entreprise quand vous voulez démissionner ? Vous allez voir votre employeur et vous lui dites : ‘ce n’est plus possible, je veux changer d’emploi’. Et la plupart du temps, c’est difficile de le chiffrer vraiment, vous faîtes ce qu’on appelle une rupture conventionnelle. D’ailleurs, dans les motifs de rupture de contrat de travail, c’est aujourd’hui le premier » : en réalité, les ruptures conventionnelles ne concernent même pas 20% des fins de contrat ! 50% des ruptures découlent d’une démission, et 25% d’un licenciement non-économique. Fake news M. le président !

Interview TF1, 15/10/2017

 

  • « L’impossibilité d’être élu quand on a un casier judiciaire B2 est promulguée, contrairement à ce que beaucoup de gens ont dit ou peuvent encore croire. Ce que nous avons promis, nous l’avons fait » : en réalité, l’inéligibilité a été remplacée par une peine complémentaire en cas de certains délits ou crimes. Fake news M. le président – expliquée ici par Nicole Ferroni.

Promulgation de la « loi pour la confiance dans la vie politique », 15/09/2017

 

  • « La France n’est pas un pays réformable. Beaucoup ont essayé et n’y ont pas réussi, car les Français détestent les réformes. Dès qu’on peut éviter les réformes, on le fait » : on lui rappelle les réformes incessantes tous les mois ? 330 adoptions de lois sous le quinquennat de François Hollande ! 

Conférence de presse à Bucarest, 24/08/2017

 

  • « La France est le seul pays d’Europe qui n’a pas réussi à endiguer le chômage » : bien transmis à la Grèce (23% de taux de chômage), l’Espagne (18%), Chypre (12%)… Fake News M. le président !

 

Débat télévisé de l’entre-deux-tours, 03/05/2017

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