Vélo : desserrer les freins pour devenir enfin libres de rouler

pARTAGEZ

vélo

Article rédigé par le groupe thématique « Transport » de La France insoumise.

En France, le vélo est un grand oublié des politiques publiques depuis des décennies, alors qu’il s’agit d’un outil crucial pour améliorer la vie des gens, plus encore en période de pandémie.

L’OMS l’a recommandé pendant le confinement : les déplacements à pied et à vélo doivent être privilégiés, car ils permettent à la fois de respecter un éloignement entre les gens et de conserver une activité physique.

Nous proposons que l’utilisation de ce mode de transport du quotidien soit fortement encouragée et que la France se dote enfin d’un plan vélo digne de ce nom, sérieusement financé et coordonné.

N’empêchons pas les gens de se déplacer à vélo !

C’est pourtant ce qui a été fait depuis des décennies, et nous en payons aujourd’hui le prix fort. Si le vélo en France plafonne à 3 % de part modale (contre 10 % en Allemagne, 12 % en Belgique, 28 % aux Pays-Bas et une moyenne européenne de 7 %), cela résulte d’un manque total de volonté politique et de clairvoyance de la part de nos dirigeants successifs. Aménagements souvent inexistants, de piètre qualité et en confettis (trous béants dans le réseau) : tout ou presque semble avoir été fait sans planification et dans l’ignorance des meilleures pratiques pourtant développées depuis longtemps à l’étranger. Pêché d’orgueil ? L’apparition soudaine dans de nombreuses villes de pistes cyclables de déconfinement prouve que c’était possible depuis toujours : ils n’ont simplement pas voulu.

Si le vélo est perçu comme une mode dans la période actuelle, c’est surtout parce que la plupart des médias et des responsables politiques se réveillent en retard sur le sujet. Il s’agit en réalité d’une évolution qui s’inscrit dans le temps long. Dans de nombreuses régions, son retour est en cours depuis plus de 10 ans. Il déchaîne les passions, car les dirigeant·es n’ont pas compris qu’au lieu d’opposer les gens, il faut planifier et organiser méthodiquement les évolutions de notre système de transport pour y faire progresser la part du vélo et que tout le monde puisse continuer de se déplacer efficacement sans se ruiner ni risquer sa santé. Il existe depuis longtemps dans le pays une grande volonté d’utiliser le vélo pour les trajets du quotidien, mais beaucoup de gens ne se sentent pas assez en sécurité pour cela. Fin 2019, la seconde édition du Baromètre “Parlons vélo” de la Fédération des Usagers de la Bicyclette en témoigne : avec plus de 184 000 réponses, il s’agit de la plus grande enquête sur le vélo jamais réalisée au monde. La participation massive a permis d’identifier l’essentiel des points noirs et des discontinuités du réseau cyclable en France. Les données sont donc disponibles pour faire de la France un grand pays de vélo. On remarquera au passage que ce sont une fois de plus les associations qui fournissent du travail gratuit pour pallier à un manque de service public et de volonté politique.

“Mais tout le monde ne peut pas faire du vélo tout le temps !“

Selon plusieurs études réalisées à ce sujet, environ 25 % des individus demeurent réfractaires au vélo, contre 60 % qui auraient envie de sauter le pas. Il convient donc de réaménager l’espace public pour que les gens qui souhaitent utiliser le vélo puissent le faire, et leur permettre de confirmer leur intuition : il s’agit d’un mode de transport très efficace, agréable et qui rend heureux. Cela libèrera également de la place sur les routes et dans les transports en commun pour les autres. C’est le principe du report modal, qui se vérifie partout où des infrastructures cyclables confortables et de qualité sont créées : par définition, chaque trajet accompli à vélo n’est pas effectué en voiture ou en transport en commun, participant ainsi à fluidifier le trafic et à dé-saturer les TEC. Cela fonctionne car le vélo prend peu de place sur la chaussée. Encore faut-il des élu·es qui aient le courage et l’intelligence de lui attribuer son domaine de voirie dédié, séparé du trafic motorisé et du trottoir, réservé aux piétons. Il existe généralement un temps d’adaptation, ce qui implique de planifier cette transition et ne pas revenir en arrière (comme on commence déjà à le voir dans certaines communes qui suppriment des aménagements cyclables de déconfinement après seulement quelques jours de ”test“).

Pour une approche réaliste, il est utile de réfléchir par trajet plutôt que par personne. En effet, en fonction du type de trajet effectué, on peut utiliser tour à tour un vélo, les transports en commun, une voiture, ses pieds ou une combinaison de ces différents moyens. Selon le récent rapport de l’ADEME “Impact économique et potentiel de développement des usages du vélo en France”, le potentiel de report modal vers le vélo est massif : 65 % des déplacements du quotidien se font sur moins de 5 km (en vélo, cela prend environ 20 minutes). Villes de toutes tailles, banlieues, campagnes : il est possible de faire progresser le vélo partout.

Cela demeure trop peu connu, mais le répertoire d’activités compatible avec le vélo est immense. L’ajout de sacoches ou d’une remorque permettent de faire ses courses, un siège enfant ou l’utilisation d’un vélo cargo permet d’emmener les plus jeunes à l’école (en évitant que les trottoirs devant l’établissement ne soient envahis de SUV). En ce qui concerne la météo, comme le dit l’adage : “à vélo il n’y a pas de mauvais temps, il n’y a que de mauvais vêtements”. Ces freins psychologiques à la pratique peuvent et doivent être levés, par l’action des responsables politiques.

Financer et organiser le système vélo français

L’actuel plan vélo du gouvernement nous octroie des miettes : 50 millions d’euros par an. C’est environ 75 centimes d’euros par an et par personne, alors que les pays qui prennent le sujet au sérieux investissent plus de 30 € par an et par personne – quarante fois plus ! Il manque 1,4 milliard d’euros d’investissement par an, pour un plan vélo pluriannuel et coordonné avec les collectivités qui puisse être pris au sérieux (si l’on tient compte des 550 millions d’euros annuels d’investissements réalisés par les collectivités). 

Rappelons que pour l’automobile en 2019, le gouvernement a distribué 820 millions d’euros d’argent public rien qu’en prime à la conversion, continuant ainsi à doper artificiellement le système voiture. Pire encore, la récente annonce de plus de 8 milliards d’euros d’aides au secteur automobile par le Président de la république a un fort arrière-goût d’ancien monde (dans lequel on croyait pourtant qu’il n’y avait “pas d’argent magique”). En comparaison, une aide “coup de pouce” de 20 millions d’euros a été mise en place pour les personnes souhaitant faire réparer leur vélo, plafonnée à 50 € par personne, assortie d’une paperasserie des plus casse-tête à gérer pour les vélocistes. Récemment portée à 60 millions d’euros avec l’objectif affiché de faire réparer 1 million de vélos d’ici à la fin de l’année (soit 6 € par vélo réparé), elle ne sort même pas du budget de l’État mais provient des certificats d’économie d’énergie (donc financée par les distributeurs d’énergie). Il ne manque plus qu’une médaille en chocolat pour compléter le tableau ! Pendant ce temps, le gouvernement britannique lance un plan d’investissement de 2 milliards de livres (2,2 milliards d’euros) afin de promouvoir et de développer la pratique du vélo.

Voici quelques-unes des principales mesures nécessaires pour un plan vélo sérieux en France :

  • Réalisations massives de pistes cyclables sécurisées, éclairées la nuit (soutien financier, technique et coordination de réalisation en collaboration avec les collectivités). Une attention particulière doit être portée à résorber les points noirs identifiés (discontinuités majeures, intersections stressantes et difficiles à franchir sereinement, souterrains, ponts…)
  • Apaisement du trafic motorisé pour les zones résidentielles et de desserte locale, par des mesures de réduction du nombre et de la vitesse effective des véhicules

L’objectif : qu’un enfant puisse pédaler en toute sécurité sur l’ensemble des itinéraires aménagés

  • Création et soutien financier et technique au déploiement de stationnement vélo sécurisé près des services publics et des administrations, des commerces de proximité, dans les habitations ainsi que dans les gares SNCF et nœuds de transport

L’objectif : lutter contre la peur du vol et favoriser l’intermodalité (Le potentiel du système vélo + train est énorme, et permet entre autres de dynamiser les lignes de vie sur le réseau ferroviaire) 

  • Apprentissage systématique du vélo à l’école, pour que chaque enfant sans exception ait le droit de savoir rouler
  • Création de nouveaux centres de formations des mécanicien·nes vélo
  • Soutien financier à l’installation et au développement des ateliers de réparation et d’auto-réparation, ainsi qu’aux vélo-écoles (pour tous les âges)
  • Soutien technique aux entreprises pour l’installation de nombreuses places de stationnement vélo
  • Généralisation du forfait mobilité durable introduit par la loi d’orientation des mobilités, pour le rendre obligatoire et cumulable avec le remboursement de 50% du montant de l’abonnement de transports en commun pour permettre aux salarié.e.s de s’équiper et d’entretenir leur matériel
  • Relocalisation et soutien au développement des filières de production et de réparation (notamment pour les vélos à assistance électrique, encore massivement produits à l’étranger et très utiles pour développer l’usage dans les zones vallonées)
  • Extension de l’aide à l’achat à tous les types de vélo (pour qu’elle cesse de favoriser uniquement les vélos à assistance électrique)
  • Extension de la prime à la conversion pour le passage d’un véhicule automobile vers un vélo ou un vélo cargo
  • Gratuité du marquage des vélos pour améliorer l’efficacité de la lutte contre le vol
  • Soutien au développement des coopératives de cyclo-logistique et des artisans à vélo pour remplacer les camionnettes par des vélos cargo et remorques (qui permettent de transporter jusqu’à 300 kg de charge utile)
  • Création d’un système national de location de vélos en gares SNCF sur tout le territoire, à l’image du système des “OV-fiets” existant aux Pays-Bas
  • Création d’un service public de récupération, réparation, réemploi, revente à tarif social de vélos, et d’aide à l’aménagement et au désencombrement des locaux vélo dans les habitations
  • Formation de comités pérennes d’associations et de pratiquant.e.s du vélo pour prioriser et penser les aménagements futurs, ainsi que les corrections des aménagements existants. Leur implication réelle dans les projets (par opposition aux concertations actuelles, souvent de façade ou inexistantes) permettra d’éviter de nombreuses erreurs et d’améliorer la qualité des aménagements
  • Création d’une cartographie numérique nationale et unifiée des aménagements cyclables, qui servira de base de travail pour la planification des réalisations, le suivi d’avancement et le calcul d’indicateurs. Elle sera créée sur la base des nombreuses cartes existantes et alimentée dans le temps par les demandes et commentaire des citoyen.ne.s, ainsi que par les informations des services techniques.

Notons au passage que pour la mobilité du quotidien (comme dans bien d’autres domaines), quand on laisse le secteur privé s’en occuper seul, l’histoire se termine généralement très mal : jusqu’à présent tout ce que les brillants esprits de la startup nation ont été capable de produire ce sont trottinettes électriques en libre-service qui finissent dans la méditerranée à Marseille, causant une pollution catastrophique et des vélos de piètre qualité qui ont encombré les trottoirs déjà bien étroits nos villes, cassés au bout de quelques jours et finissant dans la Seine et dans les canaux à Paris. Et bien sûr dans cette immense pagaille, personne n’est responsable de rien, pendant que les gens et la nature subissent. Le summum de l’aberration semble avoir été récemment atteint aux États-Unis, ou des sous-traitants alertent sur la destruction de 20 000 vélos électriques flambants neufs lors du rachat d’une filiale d’Uber (encore eux) par une autre société. L’équipe technique qui les avait conçus aurait été intégralement licenciée par Uber. Bienvenue dans le monde d’après, où il faudra sans doute un peu plus que des tribunes à l’eau tiède pour siffler la fin de la récréation.

L’économie et la santé, grandes gagnantes du vélo

Toujours selon le rapport de l’ADEME, les retombées socioéconomiques du vélo (pour une part modale actuelle de 3%) pèsent aujourd’hui 30 milliards d’euros par an et représentent plus de 160 000 emplois. En augmentant la part modale à 24%, nous passerions à 130 milliards d’euros de retombées et plus de 570 000 emplois. Nous pouvons donc bénéficier de 100 milliards d’euros et 410 000 emplois supplémentaires. Si un tel succès du vélo est possible aux Pays-Bas (28 % de part modale, en constante augmentation) c’est aussi possible en France. C’était d’ailleurs le cas dans les années 50.

Les avantages du vélo pour la santé sont encore trop méconnus, mais ils sont considérables : effets bénéfiques sur le système cardio-vasculaire, impacts positifs sur le diabète, sur la dépression, bénéfices cognitifs (notamment pour les personnes âgées), baisse du risque de cancer, amélioration de la concentration et de l’attention pour les enfants et de la productivité au travail pour les adultes. Chez les salarié·es adeptes du vélotaf (se rendant au travail à vélo), on constate une baisse de 15 % des arrêts maladie. Nous avons également expérimenté pendant le confinement une forte baisse du bruit et une amélioration inédite de la qualité de l’air, ce qu’il est possible de retrouver, en autre grâce à un développement massif de la pratique du vélo.

Les commerces de proximité ont aussi beaucoup à gagner dans la progression du vélo. De nombreux exemples dans le monde le confirment : un rééquilibrage des déplacements en faveur des modes actifs (marche, vélo) permet de faire augmenter leur chiffre d’affaire en leur apportant plus de clients et de lutter contre la concurrence des grandes surfaces dans lesquelles les clients se rendent majoritairement en voiture. [3]

Un moyen de transport très peu cher et réellement inclusif

Il est bon de rappeler une évidence : un vélo coûte beaucoup moins cher qu’une voiture, à l’achat comme à l’utilisation (quelques centaines d’euros pour un vélo de qualité qui peut durer toute la vie, jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’euros pour certains modèles de voitures). Cela impacte fortement le budget des gens, et notamment des plus modestes et des habitant·es des quartiers populaires. Maintenir le pays dans une dépendance à la voiture et empêcher les gens de se déplacer à vélo aggrave les injustices sociales et sanitaires. 

Plus qu’un loisir du dimanche, la bicyclette est surtout un extraordinaire outil démocratique, permettant au plus grand nombre de retrouver une liberté de mouvement au quotidien. Au XIXe siècle, elle fut un instrument d’émancipation pour les femmes, et encore aujourd’hui, on observe que la proportion de femmes à vélo augmente quand la pratique se développe. Grand nombre d’usagers des transports en commun sont des usagères, n’ont pas le luxe de posséder une voiture et ne doivent pas avoir à choisir entre leur santé et leur mobilité.

Plusieurs choses très souhaitables se produisent également quand une société fait de la place au vélo. La sécurité routière s’améliore car le taux d’accident à vélo est faible, et tend à baisser quand la pratique augmente, sous l’effet des infrastructures sécurisées, de la réduction du trafic motorisé et de la sécurité par le nombre qui fait que plus les personnes se déplaçant à vélo sont nombreuses, plus elles sont visibles (Le port du casque obligatoire au contraire est une fausse bonne idée, car il dégrade la sécurité en détournant les gens du vélo et en évitant aux responsables politiques de prendre des mesures efficaces). La rue cesse d’être seulement un espace de passage et de flux, mais elle redevient un lieu d’échange entre les gens, de rencontre et de lien social, dans lequel il est possible croiser des regards, de se rencontrer par hasard et de s’arrêter un moment pour discuter. Les plus jeunes recommencent à se déplacer librement et en sécurité, pour aller à l’école ou rendre visite à leurs ami·es. Les plus âgé·es également, notamment grâce à l’essor du vélo à assistance électrique : contrairement à un cliché encore trop répandu, il n’est pas rare de pouvoir et vouloir faire du vélo à plus de 70 ou même 80 ans. Les personnes en fauteuil roulant sont (enfin !) à nouveau les bienvenues dans des rues plus accueillantes, et peuvent profiter des infrastructures cyclables et des rues apaisées pour se déplacer en toute tranquillité.

Plus que jamais, le vélo a le pouvoir de changer la vie, mais c’est à nous de le vouloir.

Dernières actualités

Rechercher